Vous êtes victime d’un acte criminel? Vous craignez que la personne accusée accède à vos dossiers privés et ainsi à des informations personnelles vous concernant?
La Charte canadienne des droits des victimes protège votre droit à ce que votre vie privée soit prise en considération.
Annouck Balzer, procureure aux poursuites criminelles et pénales
La communication de la preuve
Lorsqu’une personne victime d’un acte criminel porte plainte à la police, le rôle des policiers est de mener une enquête pour identifier la personne suspecte et recueillir la preuve. La police transmet ensuite son dossier d’enquête à une procureure ou un procureur aux poursuites criminelles et pénales¹.
Pour que le procureur décide de poursuivre la personne suspecte, les éléments de preuve au dossier d’enquête doivent être suffisants. C’est le cas si le procureur est convaincu qu’une juge ou un juge, ou encore un jury, pourraient raisonnablement conclure lors du procès que la personne suspecte est coupable du crime qu’on lui reproche.
Quand le procureur porte des accusations contre la personne suspecte, on dit que celle-ci est accusée. Lorsque c’est le cas, le processus judiciaire au tribunal² débute. La comparution est l’étape où la personne accusée se présente pour la première fois devant le tribunal.
Le procureur doit communiquer à la personne accusée, tout renseignement pertinent qu’il a en sa possession, et ce, en tout temps et jusqu’à la fin des procédures judiciaires. Cette obligation imposée au procureur de communiquer à la personne accusée toute la preuve pertinente qu’il possède fait partie intégrante du droit de celle-ci à une défense pleine et entière. Cela inclut tout élément :
- de preuve de la poursuite;
- permettant de réfuter la preuve ou les arguments de la poursuite;
- permettant à la personne accusée de présenter un moyen de défense.
Il peut s’agir de déclarations écrites, déclarations vidéos, photos, croquis, enregistrements audios, etc.
Les limites à la communication de la preuve
Lors de la communication de la preuve à la personne accusée, le procureur protège tout renseignement confidentiel ou privilégié vous concernant, par exemple :
- les renseignements dont la communication risquerait de mettre en danger votre vie ou votre sécurité;
- vos coordonnées, à l’exception de votre identité;
- le matériel de pornographie juvénile, les enregistrements de voyeurisme et les images intimes.
Ces éléments sont caviardés (cachés) avant que la preuve ne soit communiquée à la personne accusée.
Certains documents contiennent peut-être des renseignements personnels vous concernant. Pensons par exemple :
- aux notes prises à votre sujet par un professionnel qui vous est venu en aide, comme un thérapeute, un psychologue ou un médecin;
- à votre dossier médical ou à des documents produits par un établissement de soins de santé;
- à des dossiers vous concernant appartenant à un organisme d'aide à l'enfance ou de service social (comme un centre jeunesse ou une école que vous avez fréquentée) ou à vos employeurs;
- à vos journaux intimes.
Vous pourriez vous attendre à ce que les informations contenues dans ces documents demeurent confidentielles. C’est pourquoi la loi³ prévoit des limites à la communication de la preuve. Ces limites visent l’atteinte d’un équilibre entre la protection de votre vie privée et de votre sécurité, et le droit de la personne accusée à une défense pleine et entière.
Lors d’une poursuite relative à une infraction d'ordre sexuel, le procureur ne peut pas communiquer ces documents personnels vous concernant, sauf si vous y consentez ou si un juge l'autorise.
La divulgation par la poursuite d’un document contenant des renseignements personnels avec votre consentement
Il n'existe aucune obligation de votre part à consentir à la divulgation de vos dossiers personnels. Cependant, le procureur peut vouloir utiliser un des documents mentionnés ci-dessus pour appuyer sa preuve de la culpabilité de la personne accusée. Par exemple, un dossier médical décrivant les blessures que vous avez subies lors de l’agression sexuelle est important pour établir cette preuve.
Le procureur peut, dans certains cas, discuter avec vous afin de savoir si vous souhaitez renoncer à la protection de tels renseignements en vous faisant signer un formulaire qui permet la communication à la personne accusée d'un ou plusieurs de vos dossiers personnels. Le procureur s’assurera de votre bonne compréhension de la signification de cette renonciation. Si vous signez le formulaire, le procureur communiquera à la personne accusée un ou plusieurs de vos dossiers personnels. Avant de prendre votre décision, vous pouvez en discuter avec l’intervenante ou l’intervenant qui vous accompagne. Vous pouvez également consulter un avocat.
Si vous ne consentez pas à cette divulgation, le procureur ne pourra pas communiquer cette preuve à la personne accusée. Cependant, le procureur a l’obligation de l’informer qu’il a le dossier en sa possession ou sous son contrôle.
La personne accusée demande à un juge de lui communiquer un document contenant des renseignements personnels
La personne accusée peut demander la communication d'un document personnel vous concernant en soumettant une demande écrite au juge.
La demande doit indiquer :
- le document demandé;
- les raisons pour lesquelles la personne accusée croit que ce document est important pour sa défense, soit parce que c’est pertinent pour un point en litige ou soit parce c’est pertinent concernant votre capacité à témoigner.
La personne accusée doit veiller à ce que le procureur, la personne ou l’organisation détentrice du document et vous receviez une copie de la demande. À la suite de la réception par le tribunal d’une demande de la personne accusée, une procédure en 2 étapes sera effectuée afin de déterminer si le document doit être communiqué ou non à la personne accusée.
Étape 1
Le juge tient une audience à huis clos, c’est-à-dire sans public, pour décider s’il peut consulter le document dans le but d’en faire l’examen.
La personne accusée doit dire au juge pourquoi il souhaite que le document lui soit communiqué. Le procureur pourra également exposer ses arguments au juge. Le détenteur du dossier et vous-même pouvez aussi vous exprimer. Le juge vous avisera qu’un avocat peut vous représenter sans frais si vous souhaitez qu’il exprime vos préoccupations au juge en votre nom. Vous n’êtes pas dans l’obligation de témoigner.
Pour décider qu’il peut lui-même consulter le document, le juge doit être convaincu :
- que la demande répond aux exigences de forme et de contenu requises par la loi;
- que la demande a été transmise aux personnes concernées;
- que la personne accusée a démontré que le document est pertinent quant à un point en litige ou à votre capacité à témoigner;
- que la communication du document sert les intérêts de la justice.
Après avoir entendu toutes les parties, le juge peut décider que le document ne sera pas remis à la personne accusée, ce qui met un terme à la procédure.
Le juge peut également décider qu’il examinera le document avant de rendre sa décision sur la communication ou non de celui-ci à la personne accusée. C’est la seconde étape de la procédure.
Étape 2
Si le juge rend l’ordonnance obligeant la personne qui a le document en sa possession à le lui communiquer, il l’examine par la suite pour décider si le dossier devrait, en tout ou en partie, être communiqué à la personne accusée.
Le juge peut décider seul à cette étape ou choisir de tenir une audition s’il estime que c’est utile. Le juge peut à nouveau tenir une audience à huis clos. Vous pouvez y assister pour exprimer votre point de vue. Vous pouvez à nouveau vous faire représenter par un avocat sans frais afin qu’il présente au juge les raisons pour lesquelles vous ne souhaitez pas que le document soit transmis à la personne accusée. Encore une fois, vous n’êtes pas dans l’obligation de témoigner lors de cette audience.
Le juge autorisera la communication du document en tout ou en partie si cela est pertinent quant à un point en litige ou à votre capacité à témoigner, et que cela sert les intérêts de la justice.
Pour ce faire, il doit considérer les éléments suivants :
- dans quelle mesure le document est nécessaire pour permettre à la personne accusée de présenter une défense pleine et entière;
- la valeur probante du document;
- vos attentes quant au respect du caractère privé des informations contenues dans le document;
- le préjudice possible à la dignité ou à la vie privée de toute personne à laquelle il se rapporte;
- l’intérêt de la société à ce que les infractions d’ordre sexuel soient dénoncées;
- l’intérêt de la société à ce que les victimes, dans les cas d’infractions d’ordre sexuel, suivent des traitements;
- l’effet de la décision sur l’intégrité du processus judiciaire.
Il se demandera aussi si la communication du document repose sur une croyance ou sur un préjugé. Après avoir pris en compte l’ensemble des critères, le juge pourra décider que le dossier :
- ne sera pas remis à la personne accusée;
- sera remis à la personne accusée;
- sera remis à la personne accusée à certaines conditions.
Lorsque vous rencontrez une policière ou un policier ou une intervenante ou un intervenant, faites-leur part des craintes que vous avez sur le processus judiciaire.
Si vous ne voulez pas qu’un document contenant des renseignements personnels soit remis à la personne accusée, vous pouvez le dire au procureur. À toutes les étapes des procédures, celui-ci prendra les mesures nécessaires pour préserver votre sécurité. Il tiendra compte de vos besoins, de votre point de vue et de votre droit à la vie privée.
Cet article est le fruit d'une collaboration entre le Bureau des mandats organisationnels du DPCP et l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes.
Il fait partie d’une série d'articles sur les mesures favorisant la participation des personnes victimes d’actes criminels au processus judiciaire.
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