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La preuve du comportement sexuel de la victime


Vous êtes victime d’un crime à caractère sexuel? Vous craignez que des informations concernant votre comportement sexuel soient révélées à l’occasion des procédures judiciaires?

Eliane Beaulieu, procureure aux poursuites criminelles et pénales


Le Code criminel vous offre une protection contre cette intrusion dans votre vie privée.

À la fin de son enquête, l’enquêtrice ou l’enquêteur de police transmet au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) le dossier d’enquête complet qu’il a recueilli concernant l’infraction dont vous avez été victime. 

Le DPCP assigne alors le dossier à une procureure ou à un procureur aux poursuites criminelles et pénales qui l’étudie¹. Avant d’autoriser le dépôt d’accusations pour une infraction à caractère sexuel, le procureur doit, à moins d’impossibilité de le faire dans les circonstances, rencontrer la victime². Après son analyse objective de la preuve soumise par la police et sa rencontre avec la victime, le procureur décide s’il porte ou non des accusations contre la personne suspecte. Dans l’affirmative, le suspect devient alors l’accusé. 

Lors d’une poursuite criminelle, le procureur a l’obligation de communiquer la preuve à l’avocate ou à l’avocat de l’accusé, ou à l’accusé lui-même si celui-ci choisit de ne pas être représenté par un avocat. Si l’enquête policière révèle des informations sur un ou certains de vos comportements sexuels, le procureur devra transmettre ces informations à la personne accusée, à moins qu’elles soient manifestement non pertinentes. 

Toutefois, tant l’avocat de l’accusé que le procureur ne pourront utiliser cette preuve lors des procédures criminelles sans que le tribunal³ l’ait autorisé au préalable. 


Élément de preuve visé concernant votre comportement sexuel 

La définition de comportements sexuels implique des activités sexuelles auxquelles vous avez consenti ou non. Elle inclut la conduite survenant avant et après l’infraction criminelle commise à votre égard. Cela comprend notamment :

  • une précédente agression sexuelle que vous avez subie;
  • des activités de prostitution que vous avez pratiquées;
  • une relation sexuelle consentante que vous avez eue avec l’accusé à la suite de la relation à l’origine des accusations, etc. 

Ces informations peuvent se retrouver sous diverses formes. Par exemple :

  • des courriels, des messages textes et des messages échangés par clavardage comprenant du contenu sexuel ou rédigés à des fins sexuelles;
  • des vidéos et d’autres images comprenant du contenu sexuel ou produites à des fins sexuelles;
  • des déclarations écrites, sur support audio ou vidéo, de vous, d’un témoin ou de l’accusé relatant un pan de votre comportement sexuel autre que celui à l’origine des accusations.


Protection contre l’utilisation d’informations concernant votre comportement sexuel lors des procédures criminelles 

De façon générale, la loi⁴ vous protège contre l’utilisation de telles informations si vous avez été victime d’une infraction à caractère sexuel.

Cette protection est là pour éviter que le tribunal tire 2 conclusions :

  1. vous êtes plus susceptible d’avoir consenti à l’activité à l’origine de l’accusation;
  2. vous êtes moins digne de foi.

Aucune information sur une activité sexuelle autre que celle faisant l’objet de l’accusation ne peut être introduite en preuve sans une demande présentée au tribunal. Comme mentionné précédemment, le tribunal doit autoriser cette demande. 


Demande par la personne accusée pour autoriser l’utilisation d’informations sur votre comportement sexuel

Si la personne accusée souhaite introduire en preuve l’un ou plusieurs de vos comportements sexuels, elle doit demander la tenue d’une audience au tribunal. Le jury et le public sont exclus de cette audience.

L’objectif de l’audience est de décider si la preuve est admissible ou non au procès.

De votre côté, vous n’avez pas l’obligation de participer à l’audition de la demande. Vous pouvez le faire si vous le souhaitez et présenter vos arguments en faveur ou contre l’utilisation de la preuve. Vous pouvez aussi être représenté(e) par un avocat. Le tribunal a même l’obligation de vous aviser de ce droit que vous avez d’être représenté(e) par un avocat. Le tribunal peut, à ce stade, émettre une ordonnance demandant à la Commission des services juridiques de désigner un avocat pour vous représenter, et ce, sans égard à vos moyens financiers.


Demande d’admissibilité de la preuve de votre comportement sexuel par la poursuite

Sachez que même la poursuite doit formuler une demande au tribunal pour que ce dernier détermine si les éléments de preuve feront partie du procès ou pas. 


Autorisation du tribunal  à l’utilisation de votre comportement sexuel : les critères à considérer  

Dans certaines situations, le tribunal peut autoriser la personne accusée à présenter une preuve comprenant de l’information sur votre comportement sexuel. Des critères rigoureux encadrent ces situations.

Il faut que la preuve présentée :

  • ne vise pas à tirer les 2 conclusions mentionnées précédemment;
  • concerne un élément du procès;
  • porte sur des cas particuliers d’activités sexuelles.

Le risque de nuire à la bonne administration de la justice ne doit pas l’emporter sur la valeur de la preuve. 

Pour décider de l’admissibilité d’informations sur votre comportement sexuel, le tribunal prend en considération les éléments suivants :

  • l’intérêt de la justice, y compris le droit de l’accusé à une défense pleine et entière;
  • l’intérêt de la société à encourager la dénonciation des infractions à caractère sexuel;
  • la possibilité, dans de bonnes conditions, de parvenir à une décision juste grâce à cette preuve de passé sexuel;
  • le besoin d’écarter de la recherche des faits toute opinion ou tout préjugé discriminatoire;
  • le risque de susciter des préjugés, de la sympathie ou de l’hostilité envers vous de la part du jury, si le procès se tient devant un juge et un jury;
  • le risque d’atteinte à votre dignité et à votre droit à la vie privée;
  • votre droit à la sécurité;
  • tout autre élément pertinent.


Rejet par le tribunal de la demande d’admissibilité de la preuve du comportement sexuel et interdiction de publication

Si le tribunal interdit l’utilisation de la preuve de renseignements tirés de votre comportement sexuel, cela signifie que personne ne pourra faire référence à votre comportement sexuel lors des procédures criminelles. 

Aussi, sauf si le tribunal décide du contraire, personne ne peut alors publier ou diffuser :

  • le contenu de la demande présentée par la poursuite ou par la personne accusée pour demander l’admissibilité du comportement sexuel;
  • tout ce qui a été dit ou déposé à l’occasion de cette demande ou des audiences;
  • toutes les décisions et tous les motifs  justifiant ces décisions rendues concernant la demande.

Vous craignez que votre comportement sexuel soit révélé en cour? Parlez-en à l’intervenante ou l’intervenant au service d’aide aux victimes que vous rencontrez. Dites-le également au procureur assigné à votre dossier. À toutes les étapes des procédures, ce dernier prendra les mesures nécessaires pour assurer votre sécurité et veillera à ce que votre vie privée soit prise en considération par les autorités. Il tiendra compte de vos besoins et de votre point de vue.

   

Cet article est le fruit d'une collaboration entre le Bureau des mandats organisationnels du DPCP et l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes.

Il fait partie d’une série d'articles sur les mesures favorisant la participation des personnes victimes d’actes criminels au processus judiciaire

Pour connaître d’autres mesures d’aide au témoignage en cour, de protection de la vie privée et de protection des personnes victimes, consultez la publication Faciliter la participation des victimes au processus judiciaire criminel : mesures d'accompagnement et de protection.





¹ Le procureur aux poursuites criminelles et pénales est aussi appelé «procureur de la poursuite» ou «procureur de la Couronne». Le terme «procureur» est employé dans cette fiche. Il est l’avocat qui poursuit la personne accusée au nom de l’État et qui agit dans l’intérêt général de la société. Il n’est pas l’avocat de la victime, mais doit tout de même tenir compte de ses intérêts et de ses droits. 

² DPCP, Directive AGR-1. Agression sexuelle et autres infractions à caractère sexuel envers les adultes, par. 4. Dans la mesure du possible, le dossier est confié à un procureur qui a reçu une formation spécifique en matière d’agression sexuelle.

³ Le terme «tribunal» est employé dans cette fiche pour désigner la juge ou le juge. C’est également un synonyme de l’expression «la cour», qui est parfois utilisée dans les décisions pour désigner le juge.

La loi à laquelle cet article fait mention est le Code criminel.


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