Coulisses du palais - Entretien avec Me Sylvie Lemieux




@Photo Les Coulisses du palais, Canal D


Dans le dernier épisode des Coulisses du palais*, Me Sylvie Lemieux, procureure au DPCP, plaidait un dossier d'agression sexuelle. On a discuté avec elle des particularités de ce type de procès.


Question: En quoi un procès pour agression sexuelle est-il différent d’autres types de procès? Qu’est-ce que ça revêt de particulier?

 

Me Sylvie Lemieux: Dans un procès d’agression sexuelle, on retrouve avant tout une dimension très humaine et émotive. Nous sommes en présence de victimes vulnérables, qui présentent des souffrances et qui vivent des moments forts difficiles. Il est par ailleurs important de mentionner qu’une victime d’agression sexuelle n’est jamais seule durant le processus judiciaire et qu’elle est entourée d’intervenants qui l’accompagnent du début à la fin des procédures. En effet, la poursuite dans ce type de dossier est dite « verticale » en ce sens où le même procureur aux poursuites criminelles et pénales (PPCP) aura la responsabilité du dossier durant l’ensemble des procédures judiciaires. Il est crucial d’établir un lien de confiance avec la victime dès le début de nos échanges et on s’assure d’évaluer ses besoins afin de recourir aux mesures de protection appropriées à sa situation. Ces mesures sont codifiées au Code criminel : l’ordonnance de non-publication pour protéger l’identité de la victime, la présence d’une personne de confiance lors du témoignage à la cour, le recours au télé-témoignage en circuit fermé, l’interdiction pour un accusé de contre-interroger lui-même une victime, etc. Pour moi, ce rôle dans notre société est une véritable vocation. Je salue le courage des victimes qui portent plainte et je les accompagne avec conviction depuis plus de 25 ans.


@Photo Les Coulisses du palais, Canal D

 
Q: Vous donnez des exemples de l’évolution du droit en matière d’agression sexuelle (plainte spontanée, corroboration). Quel est, selon vous, le plus grand avancement qu’a fait la justice dans les dernières années à ce sujet?

 

SL: Le droit relatif aux agressions sexuelles a, en effet, connu une réforme majeure en 1983. La doctrine de la plainte spontanée a été abolie et ainsi, l'absence de porter plainte rapidement pour une victime ne nuit plus à sa crédibilité. Également, il n'est plus nécessaire de déposer une preuve corroborante de la version de la victime pour obtenir une condamnation d'agression sexuelle. D’autant plus qu’un crime de nature sexuelle est, la grande majorité du temps, commis à l’abri des regards devant aucun témoin. J’ajouterais aussi que le contre-interrogatoire d'une victime sur son passé sexuel a été très balisé, la preuve de réputation sexuelle visant à attaquer la crédibilité de la victime est inadmissible en preuve au procès. Tout cela étant dit, certaines décisions récentes de la Cour suprême ont changé la façon d’aborder ce type de procès. Le plus grand avancement à mon sens est l'évolution du droit quant aux mythes liés au viol ou sur les présomptions stéréotypées au sujet des femmes et de la notion de consentement. Les tribunaux viennent chasser ce type de raisonnement et rappeler qu'ils sont interdits, notamment : la réaction de la victime et son comportement au moment de l’infraction alléguée, ses pratiques sexuelles, ses caractéristiques physiques ou les inférences quant à l’âge, la religion ou l’expérience sexuelle.


@Photo Les Coulisses du palais, Canal D


Q: Dans ce dossier, la trousse médico-légale faite par la victime apporte des preuves d’ADN. Quelle importance a cette trousse dans la conduite d’un tel procès? Pourrait-on dire que c’est l’élément qui fait souvent tomber ce qu’il reste de doute dans l’esprit du juge ou du jury?

SL: Pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’agression sexuelle, la preuve doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis des attouchements sexuels non souhaités. Dans ce sens, la preuve d’ADN est un élément de preuve matériel indépendant qui vient ici prouver l’existence d’un acte sexuel entre l’accusé et la victime. Par contre, la preuve doit ensuite démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention de se livrer à des attouchements sur la victime tout en sachant que celle-ci n’y consentait pas, en raison de ses paroles ou de ses actes. Ou encore que l’accusé a démontré de l’insouciance ou de l’aveuglement volontaire à l’égard de l’absence de consentement de la victime. Précisions que le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable est le même pour tous les types de crimes au Code criminel


@Photo Les Coulisses du palais, Canal D

*Les Coulisses du palais est une télésérie documentaire diffusée à Canal D les vendredis soir à 20 h, en rediffusion les lundis, 18 h.