L’appel du Nord

 



Les procureurs aux poursuites criminelles et pénales se déplacent régulièrement afin de participer à la Cour itinérante dans différentes communautés autochtones. Au Québec, certaines régions et localités sont desservies de manière itinérante par la Cour du Québec et la Cour supérieure, c’est-à-dire que le tribunal se déplace plusieurs fois par année pour siéger. En mai dernier, j’ai eu la chance de m’envoler vers Puvirnituq, un village du Nunavik, afin de participer à la cour itinérante.

Me Patricia Johnson, procureure aux poursuites criminelles et pénales et porte-parole adjointe 


Il y a plus de 2 ans, le bureau du Nord-du-Québec du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) lance un appel à travers toute la province afin de constituer une liste de procureurs accompagnateurs à la cour itinérante. À ce moment, je manifeste mon intérêt pour agir comme procureure dans le Nord. 

En avril 2020, je prévois m’envoler vers Puvirnituq mais en raison de la pandémie de COVID-19, mon départ est annulé. Mai 2022, l’occasion se présente à nouveau. Cette fois, c’est la bonne. Je grimpe dans l’avion, direction Puvirnituq.

De ce voyage, je suis l’une des deux seules intervenantes judiciaires à n’avoir jamais mis les pieds dans le Grand Nord. Toutefois, dès mon arrivée à l’aéroport international Pierre-Elliott Trudeau de Montréal, tout le monde m’accueille avec le sourire. Tous m’informent du fonctionnement de la semaine et sur la communauté. J’embarque dans l’avion en étant rassurée.




Arrivée à Puvirnituq, je suis d’abord surprise par mon nouvel environnement. Il n’y a pas d’arbres dans le village, ni à proximité. Il y a de la neige à perte de vue, même si c’est le mois de mai. Les déplacements de chacun peuvent donc être compromis par une tempête ou un blizzard, même à ce temps-ci de l’année.




L’organisateur du voyage, Jean, est là pour accueillir les intervenants du système de justice. C’est lui qui s’occupe, notamment, de nos déplacements dans le village et de nous amener au palais de justice. On arrête en chemin déposer nos bagages à l’hôtel de l’association coopérative de Puvirnituq. Ensuite, on se dirige vers le palais de justice pour débuter la Cour.

En entrant dans le palais de justice, la première chose que je dois faire est de retirer mes bottes d’hiver. Je me retrouve donc en chaussettes, le temps de sortir mes chaussures de mon bagage. Je fais ensuite la rencontre de Laurence, la procureure que j’accompagnerai toute la semaine. Elle me présente à tout le monde et me fait visiter l’endroit. Le Palais de justice de Puvirnituq est assez moderne et compte une seule salle d’audience. La salle est similaire à celles qu’on retrouve dans le reste de la province.



La Cour débute, il y a beaucoup de dossiers sur le rôle mais je suis prête. Laurence demeure en salle de Cour pendant que je rencontre des victimes avec les intervenantes du victim support. Parfois, les rencontres ont lieu complètement en anglais. Pour d’autres, une traduction en inuktitut est requise. 

À notre sortie du palais de justice, un chien husky nous attend pour se faire câliner. Le coucher de soleil est également incroyable. Le soleil quitte l’horizon vers 22h00 et le coucher de soleil est beaucoup plus long qu’à Québec. Je me sens choyée de pouvoir vivre cette expérience grâce à mon travail. 

Je suis également frappée par la collégialité entre les intervenants judiciaires. Nous logeons tous au même endroit et il n’est pas rare de souper ou déjeuner ensemble. La plupart des intervenants ne demeurent pas dans le Nord et font le voyage plusieurs fois par année à Puvirnituq.  

L’arrivée à la cour le lendemain, comme tous les autres jours, est très tôt. Il y a une grande quantité de travail à accomplir et beaucoup de personnes à rencontrer. Toutefois, la lumière naturelle est mise de l’avant au Palais de justice de Puvirnituq et une grande fenêtre au plafond permet au soleil de pénétrer dans la salle de cour. Petit fait cocasse : je me suis rendu compte que le soleil illuminait la salle en pleine audience et une des constables spéciales qui nous accompagnait me trouvait bien drôle de regarder au plafond. 

Chaque minute est utilisée à bon escient. Le but est d’accomplir le plus de tâches lors de notre bref passage dans la communauté. Plusieurs boîtes de dossiers ont fait le voyage avec nous afin d’être traitées. Toutefois, tout ne se passe pas comme prévu. Une des deux interprètes judiciaires doit s’absenter puisque sa présence est requise pour un procès dans une autre communauté. Cela fait en sorte que notre liste de priorités doit être revue, car certains dossiers ne peuvent pas procéder sans cette interprète. Les interprètes judiciaires sont requises pour la majorité des dossiers afin de s’assurer que les personnes accusées, les témoins et les personnes victimes comprennent bien le déroulement de l’audience et les questions qui leur sont adressées. Cela a également un impact sur la durée d’une audience, car tout ce qui est dit dans la salle de cour doit être interprété en inuktitut. 


Les dossiers de la semaine sont classés par ordre de priorité et un horaire de chaque journée est déterminé avec les avocats de défense et le tribunal. Les dossiers pour lesquels des peines de détention sont plaidées ou suggérées par les parties sont prévus à la fin de la semaine. Les personnes qui sont condamnées à une peine d’emprisonnement ne peuvent pas purger leur peine dans le Grand Nord, car il n’y a pas d’établissement de détention ou de pénitencier. Ceux-ci doivent être ramenés vers le Sud pour la période de leur emprisonnement.

Les policiers sur place m’ont aidé toute la semaine afin de joindre les témoins et les personnes victimes dans mes dossiers. Ils ont une grande connaissance de la communauté et savent souvent à quel endroit je peux joindre certaines personnes.  

Plusieurs choses m’ont marquées lors de mon passage à Puvirnituq. Il y a beaucoup de vent et la nuit, il n’est pas rare d’entendre les hurlements des chiens huskys qui demeurent dans la baie. J’ai aussi été confrontée au manque d’eau dans la communauté. Par exemple, pendant une journée complète il n’y avait pas d’eau courante dans le palais de justice. 

Lors de la dernière soirée dans la communauté, les intervenants judiciaires se réunissent afin de discuter et relaxer. C’est un bon moment pour tisser des liens, raconter des péripéties et rire un bon coup avant de penser à faire nos bagages. 

Lors du retour en avion, j’admire les fabuleux paysages du Nunavik et de la Baie-James. L’avion doit faire une escale à Grande-Rivière avant d’atterrir à Montréal. Ce petit détour me permet de voir pour la première fois l’étendue de la Baie-James. 




Lors de mon passage à Puvirnituq j'ai découvert la réalité de la cour itinérante et de ses intervenants. Il y a beaucoup de travail à accomplir en peu de temps et tout le monde met la main à la pâte. Ce fut une expérience vraiment enrichissante qui m’a permis d’apporter du soutien au bureau du Nord-du-Québec et de mettre les pieds pour la première fois au Nunavik.