La multiplicité des formes de pornographie juvénile à l’ère des technologies

 


Il existe aujourd’hui presque autant de formes de pornographie juvénile qu’il y a de médias et de technologies. Les méthodes se multiplient et se diversifient, mais n’échappent pas pour autant à la loi. Au contraire, un large éventail de matériel peut être considéré comme de la pornographie juvénile au sens du Code criminel, malgré certaines croyances populaires. 

Auteurs : DCOM et Me Joanny St-Pierre, procureure aux poursuites criminelles et pénales, coordonnatrice provinciale du Comité de concertation en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet, Bureau des mandats organisationnels

« On pense à des photos, naturellement, mais ce n’est pas juste ça. Ça peut être un dessin, le GIF animé de Bart Simpson qui a une relation sexuelle avec sa mère, des écrits, un message vocal, des objets en trois dimensions, comme des poupées, une sculpture », précise Joanny St-Pierre, procureure aux poursuites criminelles et pénales et coordonnatrice du Comité de concertation en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet. 

L’hypertrucage peut aussi être utilisé pour produire de la pornographie juvénile. Ce phénomène, qui prend de l’ampleur chez les jeunes avec l’accessibilité des applications en ligne, inquiète Me St-Pierre. 

« Il faut dénoncer ce que nos ados font parfois à la blague : “Je vais mettre le visage d’une telle avec un corps tout nu.” C’est de la pornographie juvénile. Des gens peuvent penser que c’est son vrai corps et utiliser la photo à des fins de stimulation sexuelle », indique-t-elle. Ce matériel aura assurément des conséquences sur la personne victime qui y apparaît.

Même une banale facture d’épicerie, sur laquelle une personne décrirait une relation sexuelle avec une personne mineure, peut devenir du matériel de pornographie juvénile au sens du Code criminel. 

Pour savoir si du matériel est considéré comme de la pornographie juvénile, l’analyse du contexte est primordiale. La Cour suprême cite en exemple des photos prises d’un enfant par ses parents alors qu’il est « nu fesses à la plage ou […] en train de jouer dans l’arrière cour ». De prime abord, il ne s’agit pas de pornographie juvénile, mais si cette photo est partagée et se retrouve dans un ordinateur avec d’autres images d’enfants nus et victimes d’abus sexuels, ces images sont possédées dans un but sexuel et le contexte est complètement différent, engageant la responsabilité criminelle de la personne qui les possède.

Selon l’article 163.1 (1) du Code criminel, la pornographie juvénile est :

Depuis septembre 2020, l’alinéa 163.1 (1) c) du Code criminel ne peut plus être utilisé au Québec. Il a été déclaré inconstitutionnel par la Cour supérieure du Québec, à la suite du procès de l’auteur Yvan Godbout. Jugé contraire à la liberté d’expression, l’alinéa prévoyait que « tout écrit dont la caractéristique dominante est la description, dans un but sexuel, d’une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans constituerait une infraction à la loi ». Il faut toutefois garder en tête que des écrits pourraient toujours faire l’objet de poursuite criminelle, si ces derniers préconisent ou conseillent une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi. Ce pourrait être le cas de clavardage entre deux personnes qui détaillent des relations sexuelles qu’elles souhaiteraient avoir avec un enfant, par exemple.

Dans certains cas, le matériel qui correspond à la définition du Code criminel pourrait être possédé, accédé, distribué ou produit dans un contexte légitime, pour autant qu’il ne représente pas un risque indu pour les enfants. En effet, le Code criminel précise que « nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction au présent article si les actes qui constitueraient l’infraction ont un but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts ». Par exemple, un balado qui rapporte le témoignage d’une victime d’agression sexuelle pourrait se défendre d’avoir des visées éducatives et/ou artistiques. 

Les peines

Le Code criminel prévoit une répression de la pornographie juvénile à tous les stades : production, distribution, possession et accès. Pour ces quatre types d’infraction, le Code criminel prévoit des peines minimales d’emprisonnement de six mois ou un an, bien que certaines d’entre elles soient déclarées inconstitutionnelles au Québec et dans d’autres provinces.


Les peines d’emprisonnement ferme sont majoritaires, mais dans certains cas, notamment des accusés qui ont des problèmes de santé mentale ayant eu un impact sur leur passage à l’acte en rendant leur responsabilité criminelle moins élevée, pourraient purger leur peine à domicile. Toutefois, dans les cas où l’accusé a commis une agression sexuelle sur un enfant et en a fait une prise d’image, le pénitencier est préconisé. 

Le jugement Friesen, rendu en 2020, recommande que les « peines infligées pour les infractions d’ordre sexuel commises contre des enfants soient alourdies », et ce, pour refléter la gravité des gestes. 

Des dossiers de pornographie juvénile en forte hausse

Dans sa dernière analyse sur l’exploitation sexuelle des enfants en ligne, Statistique Canada révèle que le nombre d’affaires d’exploitation sexuelle d’enfants déclarées par la police a bondi de 217% de 2014 à 2022 au pays. Près de 75% de ces affaires sont catégorisées comme de la pornographie juvénile. 

Le Centre canadien de protection de l’enfance est l’un des organismes voués à la protection des enfants sur le Web. Il offre plusieurs programmes, services et ressources comme son outil Arachnid qui parcourt le Web à la recherche d’images d’abus pédosexuels, dans le but d’en faire cesser la diffusion par l’hébergeur qui les rend disponibles. 

Les torts causés aux victimes 

Que les images produites soient vraies ou fausses, il ne faut pas sous-estimer les conséquences que peuvent avoir sur les victimes la production, la distribution, la possession de pornographie juvénile ou encore l’accès à celle-ci, rappelle Me St-Pierre. Pour les victimes, le stress lié à l’idée que des images d’elles sont en circulation sur le Web peut avoir plusieurs répercussions, dont de l’anxiété et des épisodes de dépression à très long terme. Une crainte constante d’être reconnues par les gens qu’elles croisent ou que des gens découvrent le matériel mettant en scène des moments traumatiques de leur vie ou encore mettant en jeu leur intégrité et leur vie privée les accompagnent souvent pour le reste de leur vie.

En tant que parent ou proche de victime, la bienveillance est de mise. Il est inutile de blâmer en disant : « Je t’avais dit de ne pas faire ça! » L’accompagnement, l’écoute et l’aide devraient être priorisés. Les victimes ne sont jamais responsables du fait qu’un tel matériel est diffusé sur Internet.

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