Bien qu’elle soit encadrée par des principes de justice fondamentale comme la présomption d’innocence, la mise en liberté provisoire d’un accusé peut être assortie de conditions strictes. À cette étape des procédures judiciaires, des obligations financières peuvent être imposées. Le non-respect des conditions d’une ordonnance de mise en liberté peut entraîner la confiscation de ces garanties financières, en l’occurrence, des sommes d’argent, des biens meubles ou des immeubles.
DCOM et Mes Marie-Ève Belliveau
Brunet et Thierry Pagé-Fortin, procureurs aux poursuites criminelles et pénales
La
mise en liberté
En
principe, lorsqu’une personne est arrêtée par un policier, elle doit être mise
en liberté dès que cela est possible, selon l’article 498
du Code criminel.
Cependant,
si le policier a des motifs raisonnables de croire qu’il est nécessaire, dans
l’intérêt public, de détenir cette personne pour l’un des motifs prévus au
paragraphe 498(1.1), il doit alors prendre les mesures pour faire
comparaître cette personne devant un juge de paix dans les 24 heures suivant
son arrestation.
La
preuve recueillie par les services policiers est remise au procureur aux
poursuites criminelles et pénales, qui devra déterminer si des accusations
seront portées contre cette personne.
Si
le procureur décide de déposer des accusations, il doit se positionner par
rapport à la mise en liberté de l’accusé pendant le processus judiciaire. Il
peut s’opposer à la mise en liberté ou la permettre complètement ou
partiellement, selon des conditions. Au bout du compte, c’est le juge qui tranchera
lors de l’enquête sur remise en
liberté.
Les obligations financières
imposées dans une ordonnance de mise en liberté
Lorsqu’un
juge de paix décide de mettre un prévenu en liberté, il peut, en vertu de l’article 515(2) du Code
criminel, lui imposer une série de conditions qu’il
estime nécessaires, notamment des conditions lui imposant certaines obligations
financières. Le tribunal peut entre autres prévoir :
·
l’engagement de la part du prévenu à
verser une somme d’argent indiquée en cas de non-respect d’une condition de
l’ordonnance;
·
l’obligation pour le prévenu d’avoir une
ou plusieurs cautions;
·
l’obligation pour le prévenu ou ses
cautions de déposer une somme d’argent ou autre valeur indiquée.
Ces garanties financières visent à inciter l’accusé à respecter les conditions posées et à le dissuader de toute violation de ces conditions. Le tribunal n’imposera ces obligations financières que s’il est convaincu que cette forme de mise en liberté est la moins sévère possible dans les circonstances.
Par
exemple, pour un accusé sans antécédent judiciaire, les obligations financières
pourraient être des conditions peu sévères, comparativement à une détention,
mais tout de même assez sévères, considérant les sommes d’argent déterminées,
pour dissuader l’accusé d’enfreindre ses conditions.
Dans l’arrêt
R.
c. Antic, la Cour suprême précise au paragraphe 48 :
« Le
législateur a inclus le dépôt d’argent dans les “échelons” les plus sévères de
l’échelle en vue d’offrir une plus grande souplesse, et non parce que l’argent
est plus efficace que d’autres conditions de mise en liberté pour faire
respecter les conditions de la mise en liberté sous caution. L’engagement crée
la même incitation financière que le dépôt d’argent pour assurer le respect par
l’accusé des conditions de sa mise en liberté. »
Les
conséquences à la suite de manquements à une ordonnance de mise en liberté
Lorsqu’un
accusé enfreint une ou plusieurs conditions imposées dans son ordonnance de
mise en liberté, il peut :
1. faire
l’objet d’une demande de révocation de mise en liberté, conformément à l’article 524
du Code criminel;
2. faire
face à de nouvelles accusations, soit de bris d’ordonnance de mise en liberté, conformément à l’article 145(5)
du Code criminel; et/ou
3. faire
l’objet d’une demande de confiscation, au profit du procureur général du
Québec, des sommes ou biens engagés dans le cadre de l’ordonnance de mise en
liberté.
Le
cadre juridique et procédural applicable pour la confiscation des sommes ou
autres valeurs engagées dans une ordonnance de mise en liberté se trouve aux articles 770 et
suivants du Code criminel. Dans l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire, le procureur aux poursuites criminelles et pénales doit
tenir compte de plusieurs facteurs pour déterminer s’il y a lieu d’intenter des
procédures de confiscation. Par exemple, il doit prendre en compte :
· la nécessité de protéger l’intégrité
du système de justice;
·
la gravité de l’accusation;
·
la question de savoir si la confiscation est pratique compte tenu
des circonstances particulières de la cause;
·
le degré de faute de toute caution eu égard au
défaut de l’accusé de se conformer à l’ordonnance.
L’affaire R. c. Michaud
À titre d’exemple, le dossier
R. c. Michaud, 2018 QCCQ 6748, démontre bien le processus menant à la
confiscation de sommes. Dans
cette affaire, l’accusé avait été arrêté pour diverses infractions criminelles
en matière de conduite automobile et autres délits. Afin d’être mis en liberté,
il avait proposé au tribunal d’effectuer un dépôt en argent de 1 000 $ et
de s’engager à payer une somme de 88 000 $, équivalant à la valeur de
sa maison, en cas de non-respect des conditions.
Moins d’un an plus tard,
l’accusé a été de nouveau arrêté à la suite de la commission de nouvelles
infractions criminelles. Il était toujours à ce moment soumis aux conditions de
son ordonnance de mise en liberté.
Le tribunal estimait alors que la détention du
prévenu s’avérait nécessaire, autant dans ses nouveaux dossiers que dans ses dossiers
en suspens. Sa mise en liberté avait donc été révoquée.
Quelques mois plus tard, le
prévenu a plaidé coupable à ces infractions, notamment celles en lien avec le
non-respect des conditions de son ordonnance de mise en liberté. À la suite de ce
plaidoyer, le procureur a entamé les procédures de confiscation des sommes offertes
en garantie par le prévenu.
À ce moment, le tribunal
pouvait soit accueillir la demande en ordonnant la confiscation partielle ou
totale des sommes engagées, soit la rejeter.
Après avoir entendu les
parties, le tribunal a accueilli la demande du procureur et ordonné la
confiscation de toutes les sommes engagées par le prévenu, soit le dépôt de 1 000 $
ainsi que 88 000 $ mis en garantie sur sa maison, le tout au bénéfice
du procureur général du Québec.
Le tribunal avait conclu que
« l’engagement est donné […] dans un but de s’assurer du respect des
conditions de mise en liberté et la confiscation est la conséquence du
non-respect des conditions ».
Un huissier de justice avait par la
suite procédé à la saisie de la résidence et du terrain. Puis, une vente sous
le contrôle de la justice a eu lieu.
Selon le contexte, la mise en
liberté provisoire d’un prévenu assortie d’obligations financières
s’avère une mesure appropriée qui peut contribuer à
protéger la société dans le respect des droits fondamentaux des accusés. Comme
l’a précisé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Antic, ces garanties ne sont pas
plus efficaces que d’autres conditions, mais elles offrent une souplesse
supplémentaire pour s’assurer du respect des engagements pris par l’accusé
et/ou le tiers caution. Cependant, ces obligations viennent avec des responsabilités,
et les conséquences en cas de manquement peuvent être lourdes. Ces mécanismes
rappellent l’importance pour chaque accusé de respecter les conditions imposées
par le tribunal.
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