Le bureau du DPCP de Montréal peut
compter sur une équipe de procureurs dédiée exclusivement aux dossiers de
violence conjugale, fléau qui perdure malheureusement. Bon an, mal an, on compte quelque
7000 dossiers du genre, dans cette région. On en discute avec Mes Christopher
H. Chartrand et Hélène Décarie, qu’on a pu voir dans le dernier épisode des
Coulisses du palais, présenté à Canal D.
Question: Dans le dernier épisode, on constate
que lorsqu’une victime de violence conjugale ne veut pas témoigner, il arrive
que la plainte soit retirée. Qu’est-ce qui fait que parfois, il n’y aura pas de
procès, alors qu’à d’autres moments, le déroulement va se poursuivre même sans
le témoignage de la victime?
Me Christopher H. Chartrand : Avant d’entamer des
procédures, tout procureur dans tout dossier évalue assidument la suffisance de
preuve et l’opportunité de procéder, dans l’intérêt public. En matière de
violence conjugale, le procureur examinera la preuve afin de déterminer s’il y
a des témoins indépendants, des aveux ou des déclarations qui pourraient
permettre de faire une preuve hors de tout doute raisonnable, et ce, même sans
la participation de la victime. Cette distinction est importante car dans ce
type d’affaires, la participation de la victime se fait de façon volontaire.
L’évaluation du procureur est active et dynamique. Le
procureur cherche à habiliter la victime et lui redonner un sentiment de
contrôle sur sa situation personnelle. Elle est rencontrée par une intervenante
sociale de Côté Cour et par un procureur qui veillent à lui expliquer la nature
du processus, le déroulement typique d’un procès, les mesures d’accommodement
disponibles et les règles de preuve et de procédure. Ce faisant, ils évaluent
ses besoins et encouragent l’expression de ses droits prévues à la Charte canadienne des droits des victimes.
Lorsque la victime ne souhaite pas témoigner, est-ce que la situation est évaluée afin de savoir si ce retrait est fait de plein gré ou à cause de pressions de l’accusé?
CHC : Dans un cas où la victime ne désire pas
témoigner, les autres alternatives sont explorées. Toutefois, avant de prendre
position, l’intervenante sociale assiste le procureur dans son évaluation des
motifs qui sous-tendent l’opinion manifestée.
Il est primordial de s’assurer que la décision d’une victime
n’est pas le résultat de pressions ou de menaces de son agresseur ou de ses
intermédiaires. En cas de doute, l’ensemble des acteurs du système judiciaire
sont conscients de l’importance de pousser plus loin, et, lorsque possible, de
remettre la cause en maintenant les interdits pour une période
supplémentaire.
Me Christopher H. Chartrand, procureur aux poursuites criminelles et pénales (photo Canal D) |
Arrive-t-il parfois qu’une victime retire sa plainte mais que l’on craigne réellement pour sa santé? Y a-t-il quelque chose que le juge ou le procureur puisse faire à ce moment?
CHC : En toutes circonstances, le procureur garde en
tête l’importance de résoudre le dossier de manière à protéger la victime, ses
proches et la collectivité en général. Aucun système n’est parfait, mais
l’équipe de la violence conjugale se veut flexible, sensible et créative.
Chaque outil disponible au Code criminel est exploré et pondéré. Rappelons que la violence conjugale est un
phénomène social horriblement pernicieux et encore fort répandu. Il est du
devoir de tous de contribuer diligemment à son éradication.
Dans cet épisode, une victime dit
souhaiter revenir avec son conjoint, pour qui il est toutefois interdit
d’entrer en contact avec elle. On comprend qu’il ne peut approcher de son
domicile ou communiquer avec elle d’aucune façon. Qu’arrive-t-il si c’est la
victime qui tente de joindre le conjoint? Est-ce qu’on considère tout de même
qu’il viole le 810?
CHC : Un 810, tout comme une probation ou une
ordonnance de mise en liberté avec conditions, vise avant tout le signataire. La
loi ne place pas la victime d’un crime sous conditions. Cela dit, dans des cas
où le couple choisit illégalement de refaire vie commune, effectivement, cela
peut amener des conséquences.
Ce qu’il faut retenir : c’est à l’accusé de se responsabiliser.
C’est lui qui a le devoir de ne pas entrer en contact avec la victime. S’il
ressent qu’en raison d’un changement de situation, les interdits n’ont plus de
raison d’être, c’est à lui de remettre son dossier sur le rôle de la cour et de
demander une modification. Incidemment, le procureur attitré au dossier
convoquera la victime à nouveau, celle-ci sera rencontrée par Côté Cour et on
évaluera dès lors l’opportunité d’une modification.
(photo Canal D) |
Un mythe tenace veut que ce soit difficile d’obtenir une condamnation en matière de violence conjugale. Les victimes diront notamment, « ça ne vaut pas la peine, c’est ma parole contre la sienne », comme si ce n’était pas suffisant, alors que ce l’est souvent. Quel est votre sentiment par rapport à ce mythe, et comment on peut le défaire?
Me Hélène Décarie : Lorsque la preuve administrée
repose uniquement sur le témoignage de la victime, il s'agit pour le tribunal
de procéder à une évaluation basée sur l'appréciation de la crédibilité des
témoins. Le tribunal a alors l'occasion d'apprécier l'ensemble de la preuve; les
circonstances de la dénonciation, la gravité des gestes posés, la fiabilité et
la vraisemblance des versions données.
En ce sens, il importe que la victime persiste à dénoncer la
violence subie et qu'elle puisse collaborer au processus judiciaire. Cela peut
suffire à mener à un verdict de culpabilité et faire en sorte que l'on gagne du
terrain sur la déconstruction
du mythe voulant qu'il est illusoire de penser à une déclaration de
culpabilité basée sur des versions contradictoires.
Me Hélène Décarie, procureure aux poursuites criminelles et pénales (photo Canal D) |
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