Depuis mon arrivée au DPCP, j’ai eu l’occasion de découvrir le travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, qu’ils soient en région, spécialisés en certaines matières ou au cœur d’initiatives positives pour leurs communautés. Cet automne, j’ai eu la chance de réaliser avec mon collègue Patrick Parent une série de balados sur le Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales (BGCAS). Ce dernier était, à nos yeux, très mystérieux. Voici ce que nous avons appris.
Fraude, corruption, gangstérisme, complot, abus de confiance, trafic, recyclage des produits de la criminalité, meurtre… L’évocation de ces grands phénomènes criminels résonne fort. À juste titre. Ils font de nombreuses victimes dans l’ombre. Leur impact se fait sentir à grande échelle, ce qui rend d’autant plus importante la lutte contre ceux-ci. C’est ce type de dossiers que traite l’équipe du BGCAS du DPCP.
À ces différents méfaits bien connus du grand public s’ajoutent les dommages à l’environnement, la responsabilité pénale des entreprises, les formes émergentes de criminalité comme le vol de données ou d’identité.
Les types de criminalité qui sont visés au bureau impliquent souvent de nombreuses personnes, des stratagèmes qui sont récurrents, qui sont bien ficelés et les impacts de ce type de criminalité se reflètent sur des milliers de citoyens.
– Me Marilyn L’Italien-Leblanc, procureure aux poursuites criminelles et pénales
Enquêtes et poursuites d’envergure
Les procureurs du BGCAS mènent des procédures qui impliquent souvent une preuve volumineuse, complexe et technique. Ces professionnels font face à de nombreuses requêtes préliminaires et contestations judiciaires dans les dossiers qu’ils traitent. Afin de s’assurer de la rigueur dans l’analyse des dossiers, le BGCAS a élaboré plusieurs outils. D’autre part, un projet d’enquête est pris en charge par une équipe qui se répartit la tâche.
Dans toute poursuite, le DPCP doit convaincre le juge ou le jury que la personne accusée est coupable du crime hors de tout doute raisonnable. Dans les affaires complexes traitées par le BGCAS, notamment en matière de corruption ou de collusion, il est fréquent que l’intention coupable soit difficile à prouver, cachée derrière des documents en apparence légitimes.
Souvent le nerf de la guerre, c’est l’admissibilité de la preuve, c’est comment on va utiliser la preuve. C’est souvent ça le débat. Et c’est souvent ça que les gens, le commun des mortels, comprennent plus ou moins bien, la différence entre « on sait bien qu’il l’a fait » et le prouver qu’il l’a fait.
– Me Francis Pilotte, procureur aux poursuites criminelles et pénales
Autre particularité : les dossiers impliquent régulièrement plusieurs coaccusés. C’est ce qui explique pourquoi un dossier est désigné par le nom de projet donné par le corps policier plutôt que par nom d’accusé. Généralement, le public ne connait pas cette désignation avant le dépôt d’accusation dans un dossier. Dès lors, ce nom est répété par tous; les médias, le public et les intervenants du système judiciaire. Prenons par exemple les projets Écrevisse, Honorer.
D’ailleurs, en 2016, le Comité d’examen sur la gestion des mégaprocès, en recommandant que le BGCAS « fournisse aux responsables d’enquêtes d’envergure le support et le conseil juridiques »1, a réitéré l’importance d’agir en conseil et assistance très tôt dans le processus d’enquête.
Conseil et assistance aux policiers
L’équipe de ce bureau travaille en collaboration avec les policiers pendant l’enquête. Ceux-ci peuvent avoir recours à des méthodes élaborées et parfois inusitées : écoute électronique, agent d’infiltration, témoin collaborateur de justice et autres autorisations judiciaires.
L’enquête policière, tout comme l’analyse de la demande d’intenter des procédures2, est confidentielle.
Également pendant ces mois-là de préparation, la confidentialité est primordiale. La fuite d’informations dans un dossier peut compromettre l’enquête et peut être fatale.
– Me Marilyn L’Italien-Leblanc
Ce rôle de conseil et assistance peut s’échelonner sur de grandes périodes. Il vise, par exemple, à s’assurer de la conformité, avec les règles de droit et la jurisprudence, des techniques utilisées par l’équipe d’enquête. Les conseils ne touchent pas la conduite de celle-ci, mais le droit qui l’accompagne. Durant cette période, l’équipe de procureurs se familiarise avec la preuve et anticipe les défis juridiques à venir.
Une pratique singulière et passionnante
L’équipe de ce bureau à vocation particulière, basée à Montréal, est appelée à traiter des dossiers spéciaux dans différents districts judiciaires québécois. Le BGCAS, c’est 125 collègues, dont 75 procureurs, possédant une expérience variée et complémentaire.
Un dossier découlant d’une enquête d’envergure exige une préparation considérable en plus d’une planification rigoureuse. Une des particularités du BGCAS, c’est que les dossiers sont menés par une équipe de procureurs.
Les dossiers qu'ils traitent impliquent le développement de réponses à des questions juridiques parfois nouvelles et souvent complexes, mettant en jeu des notions de droit criminel, civil et même constitutionnel.
Le temps des procureurs du BGCAS alterne entre les périodes de cour, de conseil et assistance et d’analyse de dossier. Compte tenu des questions inédites de droit ou des principes juridiques débattus, les dossiers sont presque systématiquement portés devant les tribunaux d’appel. Ces procédures sont souvent moins courues, et moins rapportées. Il reste que les procureurs doivent s’adapter à l’exposition médiatique soutenue.
La nature et l’impact social d’un dossier peuvent amener une pression accrue. La gestion du stress et du temps, la résilience face à l’adversité, semblent être essentielles pour être heureux dans cette pratique unique et passionnante.
Que ce soit au BGCAS ou dans les autres bureaux du DPCP, être procureur aux poursuites criminelles et pénales, c’est certainement une vocation. Les dossiers exigent engagement et courage parce que les procureurs mènent des combats nécessaires, mais dont l’issue est incertaine.
Pour écouter cette série de balados sur d'autres plateformes :
Google Podcasts
Apple Podcasts
Spotify
YouTube
1. Pour que le procès se tienne et se termine, Rapport du Comité d’examen sur la gestion des mégaprocès, recommandation no. 6, 19 octobre 2016, p. 161.
2. Document par lequel le corps policier communique au DPCP les éléments d’une enquête. Le procureur est responsable de l’analyser, de demander des compléments d’enquête, le cas échéant, et de décider d’intenter ou non une poursuite criminelle ou pénale.
Suivez-nous