Les personnes accusées d’une infraction criminelle peuvent parfois être atteintes de troubles mentaux qui les empêchent d’assumer adéquatement leur défense ou de bien comprendre la nature des gestes qu’elles posent et leurs conséquences. À cet effet, le Code criminel prévoit un régime juridique particulier permettant une prise en charge de la personne accusée d’une infraction criminelle qui est atteinte de troubles mentaux. Ainsi, dans le cadre du processus judiciaire criminel, l’accusé pourrait faire l’objet soit d’un verdict d’inaptitude à subir son procès, soit d’un verdict de non-responsabilité criminelle. Ces deux concepts sont distincts. Comment les différencier?
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Les notions d’inaptitude et de non-responsabilité criminelle sont liées à l’état mental de la personne accusée et, plus précisément, à l’existence d’un trouble mental. La notion de trouble mental en droit criminel canadien est bien définie par la loi et la jurisprudence.
En effet, la définition de troubles mentaux dans le Code criminel comprend toute maladie mentale¹. Les troubles mentaux peuvent être de nature physique ou fonctionnelle, ils peuvent être guérissables ou non, temporaires ou non, susceptibles de se répéter ou non². Ce qui importe, c’est l’effet du trouble mental sur la capacité de la personne accusée. À titre d’illustration, une personne qui est atteinte d’un trouble neurologique à la suite d’un violent coup à la tête pourrait être déclarée inapte à subir son procès ou non criminellement responsable si sa capacité à comprendre son environnement est suffisamment affectée.
L’inaptitude à subir son procès
L’inaptitude à subir son procès est liée à la capacité de la personne accusée à bien comprendre le processus judiciaire en cours et les conséquences de celui-ci. Pour être déclarée inapte à subir son procès par le tribunal, la personne accusée doit être incapable, en raison de troubles mentaux, d’assumer sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet et, plus particulièrement, incapable de :
- comprendre la nature des accusations qui sont portées contre elle, par exemple le crime qu’on lui reproche et les circonstances s’y rattachant;
- comprendre les conséquences éventuelles des procédures judiciaires, par exemple les peines possibles pour le crime commis et les conséquences d’un plaidoyer de culpabilité et d’un dossier criminel;
- communiquer avec son avocat, notamment sur les faits concernant l’infraction qui lui est reprochée, comprendre ses conseils et être en mesure de lui fournir un mandat.
Le Code criminel prévoit que l’accusé est présumé apte à subir son procès, sauf si le tribunal est convaincu du contraire. La preuve de l’inaptitude de l’accusé doit donc être faite par la personne qui la soulève.
L’inaptitude peut être soulevée à toutes les étapes des procédures judiciaires. Ainsi, lorsqu’un juge a des motifs raisonnables de croire que cela est nécessaire pour déterminer l’aptitude d’un accusé à subir son procès, il peut ordonner l’évaluation de son état mental par un psychiatre et exiger qu’un rapport écrit de cette évaluation soit déposé³.
Dans ce cas, si la personne accusée n’est pas représentée, le tribunal doit lui désigner un avocat⁴.
Lorsqu’une personne accusée est déclarée inapte à subir son procès, elle n’est pas acquittée de l’infraction criminelle qui lui est reprochée. Son dossier est transmis à la Commission d’examen des troubles mentaux Commission d’examen des troubles mentaux (CETM), qui tiendra ensuite une audience afin de rendre une décision à l’égard de l’accusé, soit :
- le libérer avec des conditions; ou
- ordonner sa détention dans un hôpital.
L’aptitude de l’accusé ainsi que la décision rendue seront révisées annuellement par la CETM. Dans l’intervalle, les accusations criminelles demeurent en suspens jusqu’à ce que l’accusé devienne apte à subir son procès ou qu’il n’existe plus suffisamment d’éléments de preuve pour soutenir les accusations et ordonner un procès. Dans ce dernier cas, si le tribunal est d’avis qu’il n’existe plus suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner que l’accusé subisse son procès, il devra alors l’acquitter. Dans le cas contraire, et si l’accusé devient alors apte à subir son procès, le processus judiciaire pourra reprendre au point où il était rendu, comme si la question n’avait jamais été soulevée.
Par ailleurs, lorsqu’il appert que, d’une part, la personne accusée n’est toujours pas apte à subir son procès et qu’elle ne le sera vraisemblablement jamais et, d’autre part, qu’elle ne présente aucun danger important pour la sécurité du public, la CETM peut recommander au tribunal de tenir une audience pour décider si la suspension de l’instance devrait être prononcée. Si le tribunal ordonne la suspension de l’instance, cela a pour effet de mettre un terme à toute poursuite en justice et de rendre inopérante toute décision qui a été rendue à l’égard de la personne accusée. La CETM n’aura alors plus à réévaluer son dossier.
La non-responsabilité criminelle
La responsabilité criminelle concerne quant à elle la capacité de la personne accusée de comprendre ses actions et leurs conséquences au moment où le crime a été commis. Ainsi, un accusé atteint d’un trouble mental au moment du crime pourrait invoquer avec succès une défense de non-responsabilité criminelle lorsque certains critères sont rencontrés.
Pour obtenir un tel verdict, la personne accusée doit d’abord faire l’objet d’une évaluation de son état mental. Cette évaluation peut être demandée à toutes les étapes des procédures, d’office par le juge ou à la demande de l’une des parties. Le juge ne peut toutefois rendre cette ordonnance d’évaluation que si l’accusé a mis en doute sa capacité mentale à former l’intention criminelle requise ou si le poursuivant démontre qu’il existe des motifs raisonnables de mettre en doute la responsabilité criminelle de l’accusé. Si le juge a des motifs raisonnables de croire que cela est nécessaire pour déterminer si l’accusé était atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle, il peut ordonner l’évaluation⁵.
Pour faire la preuve que la responsabilité criminelle d’une personne accusée n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part, il doit être démontré :
- que la personne était atteinte d’un trouble mental ou d’une maladie mentale; et
- que le trouble mental ou la maladie mentale rendait la personne incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.
Pour ce faire, la personne accusée peut témoigner devant le tribunal de ses symptômes et des conséquences qu’ils ont eues sur son comportement. Son témoignage est généralement accompagné de celui d’un expert psychiatre qui devra présenter une preuve objective, impartiale et indépendante afin d’aider le juge à comprendre la situation de la personne accusée, dont l’existence d’un trouble mental au moment de l’infraction et les conséquences de celui-ci sur la capacité de la personne accusée.
Lorsqu’une personne est déclarée non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux, cela signe la fin des procédures judiciaires. La personne accusée n’est pas déclarée coupable de l’infraction ni acquittée de celle-ci. Le verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux est un verdict distinct qui entraîne une prise en charge de l’individu, qui est alors dirigé vers la CETM.
Suivant ce verdict, le tribunal peut tenir une audience afin de déterminer si l’accusé doit être remis en liberté avec ou sans conditions à respecter ou encore s’il doit être détenu dans un hôpital⁶. La CETM devra ensuite à son tour, et ce, tous les ans ou selon le délai fixé, évaluer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public en raison de son état mental et déterminer de nouveau la décision à rendre à son égard et les conditions qui doivent lui être imposées. Cette révision annuelle par la CETM a lieu jusqu’à ce qu’elle détermine que l’accusé ne représente plus un risque important pour la sécurité du public et ordonne sa libération inconditionnelle.
Lorsqu’un verdict de non-responsabilité criminelle est rendu à l’égard d’un accusé âgé de 18 ans ou plus pour une infraction grave contre la personne, au sens du paragraphe 672.81(1.3) du Code criminel, et à la condition que le tribunal n’ait pas ordonné la libération inconditionnelle de ce dernier, le procureur peut faire une demande au tribunal afin que la personne accusée soit déclarée accusée à haut risque au sens de l’article 672.64 du Code criminel.
Rôle du DPCP
Le rôle du DPCP est de fournir pour l’État québécois un service de poursuites criminelles et pénales. Les procureurs aux poursuites criminelles et pénales travaillant au DPCP sont indépendants de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l’intégrité du processus judiciaire. Ils accomplissent leurs fonctions dans l’intérêt de la justice et veillent à la protection de la société. Leurs décisions sont guidées par l’intérêt public et prises dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins. Ils sont responsables, notamment, d’autoriser et de diriger les poursuites criminelles intentées en vertu du Code criminel.
Les procureurs aux poursuites criminelles et pénales sont présents et impliqués dans chaque étape du processus judiciaire, y compris la détermination de l’aptitude à subir son procès ou de la responsabilité criminelle. S’il est en désaccord avec le rapport d’expert produit dans le cadre d’une évaluation de l’état mental de l’accusé, le procureur peut demander une contre-expertise en mandatant un deuxième expert pour se prononcer sur la question. De plus, lorsqu’un verdict d’inaptitude ou de non-responsabilité criminelle est rendu par le tribunal, le procureur a certaines obligations à remplir⁷ afin, notamment, de faciliter la transition du dossier vers la CETM et de s’assurer que les représentations et suivis nécessaires sont faits auprès de celle-ci, tout en assurant un suivi auprès des personnes victimes concernées.
Sources :
Nicolas Bellemare, « Les incidences procédurales découlant des troubles mentaux », dans École du Barreau du Québec, Droit pénal - Procédure et preuve, Collection de droit 2023-2024, vol. 12, Montréal (Qc), CAIJ, 2023.
1 Article 2 du Code criminel.
2 R. c. Rabey, 1977 ONCA 48, p. 21.
3 Article 672.11 du Code criminel.
4 Article 672.24(1) du Code criminel.
5 Articles 672.11 et 672.12 du Code criminel.
6 Article 672.45 du Code criminel.
7 Directive du DPCP TRO-1 : Troubles mentaux – Commission d’examen.
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