Le voyeurisme, une infraction grave, même si discrète


Installer une caméra dans une salle de bain. Glisser un téléphone sous une cabine d’essayage. Espionner des gens qui se font bronzer nus à travers une clôture. Faire voler un drone ou utiliser des jumelles pour observer en cachette quelqu’un qui est dénudé ou une personne qui se trouve dans un endroit où il est raisonnable de croire que celle-ci s’y exposera nue. Ce ne sont pas de simples plaisanteries ou des gestes anodins : ce sont des gestes qui peuvent constituer une infraction criminelle grave, appelée voyeurisme. Et les nouvelles technologies facilitent plus que jamais la commission d’actes de voyeurisme. 

DCOM et Me Joanny St-Pierre, procureure aux poursuites criminelles et pénales, coordonnatrice provinciale du Comité de concertation en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet au Bureau des mandats organisationnels

Qu’est-ce que le voyeurisme, au sens du droit criminel?

Le voyeurisme est une infraction d’ordre sexuel prévue à l’article 162 du Code criminel. On parle ici de gestes posés subrepticement, c’est-à-dire en cachette, sans que la personne s’en rende compte, et dans des circonstances où il existe une attente raisonnable à la vie privée.


Une infraction qui évolue avec la technologie

Autrefois, on associait souvent le voyeurisme à des gestes concrets et visibles, comme regarder par un trou de serrure ou entre deux cabines de toilette, mais aujourd’hui, les moyens technologiques rendent l’infraction plus sournoise que jamais.

Des caméras miniatures sont maintenant dissimulées dans des stylos, des bouteilles de shampoing ou des détecteurs de fumée. Des drones peuvent filmer à distance. Et des téléphones intelligents peuvent capter des images dans les transports en commun ou les lieux publics, sans que personne s’en rende compte.

Ce sont des cas de plus en plus fréquents. Et ils ne sont pas sans conséquences.


Ce que vivent les victimes

Le voyeurisme est une intrusion grave dans l’intimité d’une personne. C’est une infraction subtile, parfois invisible, mais ses effets, eux, sont très réels.

La procureure Me Joanny St-Pierre est spécialisée en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Selon son expérience, « les personnes victimes parlent souvent d’un sentiment de violation, de perte de sécurité et de peur constante d’être observées à nouveau. Ces personnes ont vu leur intimité violée, à leur insu, alors qu’elles pratiquaient des activités de tous les jours, se croyant en sécurité. C’est cette perception qui est dorénavant ébranlée », explique-t-elle.

Dans certains cas, la personne victime peut être appelée à revenir sur les événements en cour, notamment lorsque les images doivent être présentées comme preuve. Cette situation peut être éprouvante pour elle, surtout en sachant que d’autres personnes — policiers, avocats, juge et parfois un jury — verront ces images. C’est pourquoi les procureurs s’assurent d’accompagner les personnes victimes à chaque étape du processus, en collaboration avec les intervenants en soutien aux personnes victimes. Leur bien-être, leur sécurité et leur dignité sont toujours au cœur des préoccupations.

Dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, la Cour suprême du Canada a rappelé que ce type d’atteinte à la dignité peut entraîner une détresse psychologique importante :

« [E]n cas d’atteinte à la dignité, l’incidence sur la personne n’est pas théorique, mais pourrait entraîner des conséquences humaines réelles, y compris une détresse psychologique. »

Quelques années plus tard, alors qu’elle traite des lieux protégés par cette infraction, le même tribunal, dans l’arrêt R. c. Downes, précise :

« […] Une observation ou un enregistrement [de cette nature] constitue un abus de confiance, et peut entraîner l’humiliation, l’objectification, l’exploitation, la honte et la perte d’estime de soi de la personne […]. Elle peut aussi causer un préjudice émotionnel et psychologique, et ce, même si la personne n’est pas observée ou enregistrée pendant qu’elle est nue. […] »

Cette affirmation peut se transposer également lorsque la personne est observée ou filmée dans les autres circonstances protégées par la loi.

Des conséquences bien réelles… pour les contrevenants aussi

Le voyeurisme est une infraction qui peut mener à une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. Dans certains cas, lorsque le voyeurisme est commis en même temps qu’une autre infraction (comme une agression sexuelle), les peines peuvent être consécutives, c’est-à-dire s’ajouter les unes aux autres.

Ainsi, l’infraction de voyeurisme n’est pas à prendre à la légère. C’est un acte criminel grave aux lourdes conséquences pour les personnes victimes, et pour ceux qui en sont reconnus coupables.

Si vous êtes témoin ou victime d’un geste de cette nature, vous pouvez porter plainte auprès des services de police.

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