Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) est une organisation publique relativement jeune par rapport à d’autres au Québec. Or, ses fondements datent de plusieurs centaines d’années et d’outre-mer. Portrait d’une institution qui fêtera bientôt ses 20 ans.
Il faut remonter à la fin de l’époque médiévale en Angleterre pour mieux comprendre les fondements de notre système de justice¹. Au 13e siècle, les souverains s’adjoignent des avocats pour veiller à la défense de leurs intérêts juridiques et de leurs droits sur leur territoire. Chaque souverain en engage lorsqu’il en a besoin. Le système de justice est alors décentralisé et les cours s’organisent localement. Graduellement, il deviendra plus commun que le souverain nomme et garde toujours le même avocat pour se représenter. C’est en 1461 que le titre de procureur général apparaît officiellement en Angleterre. Celui-ci exerce le pouvoir conféré au roi par la Constitution, en son nom, d’où l’utilisation du terme couronne, toujours en vigueur dans le jargon juridique.
De l’Europe vers l’Amérique
Lorsque les colons anglais viennent s’établir en Amérique, ils transposent cette façon de faire au Canada. Un poste de procureur général est ainsi créé à l’échelon fédéral et dans chaque province, modèle s’inspirant également du County Crown Attorneys Act adopté en Écosse. En 1868, l’Acte concernant le Département de la Justice établit le procureur général fédéral comme ministre de la Justice. Il s’agit d’une différence notable par rapport au modèle britannique, où ces deux fonctions sont occupées par des personnes différentes. Au Québec, il faudra attendre 1965 pour que le ministère du Procureur général soit remplacé par le ministère de la Justice.
À cette époque, les avocats qui représentent le procureur général au Québec sont engagés par le gouvernement de façon contractuelle. Ils peuvent donc être tributaires des changements d’élus et continuer, en parallèle, de pratiquer le droit privé. En vue de dépolitiser la pratique et d’assurer une indépendance ainsi qu’une continuité, une liste d’avocats privés permanents est créée². Cela aura pour effet d’assurer la pérennité du service et de développer une certaine expertise³. La Loi sur les substituts du procureur général, adoptée en 1969, imposera des principes fondamentaux encore pertinents aujourd’hui, dont l’exclusivité de la fonction et l’exigence de neutralité politique⁴. Les devoirs d’objectivité et d’impartialité seront par la suite ajoutés, tout comme l’interdiction d’être membre d’un parti politique et d’y verser une contribution. En renforçant l’indépendance des procureurs, cette loi pose les premiers jalons du DPCP⁵.
Les particularités québécoises
C’est finalement en 2005 que la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales (LDPCP) est adoptée pour différencier les fonctions du procureur général, c’est-à-dire le ministre de la Justice, de celles liées aux poursuites publiques en matière criminelle et pénale. Étant donné les aspects partisans de la fonction de ministre et le principe d’indépendance exigé au procureur général, les deux rôles, occupés par la même personne, devenaient conflictuels. En créant la nouvelle fonction de directeur des poursuites criminelles et pénales, le gouvernement souhaitait augmenter les garanties d’indépendance constitutionnelles. L’un des objectifs était d’assurer la transparence du processus judiciaire, tout en préservant l’imputabilité du procureur général à l’égard de la population québécoise⁶. Il faudra attendre le 15 mars 2007 avant que la LDPCP entre officiellement en vigueur.
Des rôles distincts
En tant que ministre de la Justice, le procureur général peut tout de même prescrire des orientations et des mesures concernant la conduite générale des affaires en matière criminelle et pénale. En revanche, le directeur du DPCP peut être appelé à expliquer ses décisions et celles des procureurs agissant sous son autorité. Dans certains cas touchant par exemple l’aide médicale à mourir, l’avortement ou la prostitution, les répercussions possibles d’un dossier sur la société pourraient justifier que le directeur consulte le procureur général.
À la différence d’une poursuite privée, la poursuite qu’intente un procureur engage l’intérêt public. Il peut décider ou non d’intenter une poursuite. De plus, même s’il juge une preuve suffisante, il peut décider de ne pas aller de l’avant au regard de l’intérêt public⁷.
Aujourd’hui, l’institution du DPCP compte près de 800 procureurs répartis dans 5 bureaux à vocation particulière, soit le Bureau du service juridique, le Bureau des affaires de la jeunesse, le Bureau des affaires pénales, le Bureau de service‑conseil et le Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales, ainsi que dans 7 bureaux régionaux qui se subdivisent en points de service. Près d’une quarantaine de points de service sont accessibles de façon permanente. Des procureurs travaillent également au Secrétariat général, au Bureau du directeur et au Bureau des mandats organisationnels.
Faits divers sur le DPCP
- De 1972 à 1979, il était interdit aux procureurs de voter lors d’une élection fédérale, provinciale, municipale ou scolaire au Canada par souci de neutralité politique⁸.
- Pendant près de 40 ans, ceux que l’on connaît aujourd’hui comme les « procureurs aux poursuites criminelles et pénales » étaient plutôt désignés comme les « substituts du procureur général ».
- Dans la plupart des provinces canadiennes, les policiers peuvent se rendre directement auprès d’un juge pour présenter une dénonciation afin d’amorcer une poursuite. Au Québec, tout comme au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique, le dépôt d’une dénonciation par un policier doit d’abord être autorisé par un procureur.
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