Dossier de violence conjugale : accompagner la personne victime lorsqu’elle est ambivalente

Lorsqu’un drame survient ou qu’un dossier de violence conjugale prend fin sans condamnation, les réactions sont souvent vives. Dans les médias comme dans l’opinion publique, certains se demandent pourquoi une personne accusée de violence conjugale n’a pas été traduite en justice ou condamnée. Derrière chaque dossier se cache pourtant une réalité juridique et humaine complexe, où les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) doivent constamment concilier la recherche de justice, la sécurité des personnes victimes et le respect de leurs choix.

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Dans le cadre de leur travail, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales placent la sécurité des victimes au cœur de leurs préoccupations. Ils s’assurent que leurs intérêts légitimes soient pris en compte tout au long du processus judiciaire.

À ce titre, ils se réfèrent notamment à la directive VIO-1 du DPCP, qui encadre le traitement des infractions commises dans un contexte de violence conjugale. Cette directive précise que les procureurs ne peuvent pas obliger une victime à témoigner dans un procès contre son ou sa partenaire intime.

« En matière de violence conjugale, on ne force pas les victimes à témoigner contre leur agresseur. Lorsqu’une victime décide de ne plus s’impliquer dans les procédures criminelles, on respecte son choix et on la dirige vers les ressources d’aide appropriées », indique Me Lucas Bastien, porte-parole du DPCP. « Les victimes sont déjà souvent en perte de contrôle face à leur agresseur; on vise à leur redonner le contrôle sur leur vie et leurs décisions », précise-t-il.

Pourquoi ne contraint-on pas une victime à témoigner?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une déclaration faite à la police ne suffit pas pour mener un procès criminel. Lors du procès, la déclaration ne peut pas remplacer le témoignage à la cour. En réalité, les poursuites criminelles reposent sur l’ensemble des éléments de preuve, et il faut pouvoir démontrer la culpabilité d’un accusé hors de tout doute raisonnable. Dans les dossiers de violence conjugale, le témoignage de la victime demeure souvent un élément central pour établir les faits et permettre au tribunal de statuer sur la cause.

C’est pourquoi, lorsqu’il est question de violence conjugale, les procureurs ont dans la vaste majorité des cas besoin de la participation et du témoignage de la personne victime dans le cadre du processus judiciaire.

Lorsqu’une victime prend la décision de ne plus s’impliquer dans le processus judiciaire ou qu’elle n’est plus en mesure de le faire, les procureurs doivent réévaluer la preuve disponible selon la directive ACC-3. Si, sans le témoignage de la personne victime, la preuve ne permet plus de démontrer la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, le procureur a l’obligation de mettre fin aux procédures ou de substituer une accusation par un engagement (directive ENG-1).

« Dans une grande proportion de dossiers qui traitent de violence conjugale, les personnes victimes décident de retirer leur implication, et ce, pour des raisons variées qui leur sont personnelles. Ultimement, ce sont des décisions qui leur reviennent et nous devons les respecter. Dans certains cas, le simple fait d’avoir dénoncé les gestes commis peut avoir été suffisant pour les besoins de la personne victime et avoir été salvateur pour elle. Les attentes envers le système de justice diffèrent d’une personne victime à l’autre. Chaque parcours est différent et il faut accepter cette réalité comme procureur », rapporte Me Bastien.

Cette approche vise à maintenir la confiance des personnes victimes envers le système judiciaire. L’objectif n’est pas d’obtenir un verdict de culpabilité à tout prix, mais de créer un lien de confiance durable afin que la personne victime ne craigne pas de recontacter les autorités si sa sécurité est de nouveau menacée.

Des exceptions guidées par la protection du public et par la preuve indépendante disponible

Il existe toutefois des situations où la poursuite peut aller de l’avant même sans le témoignage de la victime. Par exemple, lorsque la preuve indépendante est suffisante : vidéos, témoignages de tiers, photos, appels au 911 ou déclarations spontanées admissibles.

Et dans certains cas, notamment lorsqu’un enfant est blessé ou à risque, le procureur peut juger nécessaire de poursuivre malgré l’ambivalence de la personne victime.

Chaque situation est différente et une évaluation minutieuse est faite par le procureur dans chacun des dossiers.

Le rôle du procureur : protéger, mais aussi respecter

Le travail du procureur en matière de violence conjugale repose sur un équilibre constant : agir pour protéger sans raviver la peur ou le traumatisme chez la personne victime.

En 1995, l’État québécois s’est doté d’une politique d’intervention en violence conjugale qui trouve toujours application aujourd’hui. Elle constitue le fondement de l’approche du DPCP dans ce type de dossiers.

L’ambivalence ressentie par certaines victimes ne doit pas être perçue comme un refus de collaborer, mais plutôt considérer comme un symptôme de la dynamique de la violence conjugale.

« Nos priorités sont d’accompagner, d’informer et de soutenir plutôt que de contraindre les personnes victimes. On espère qu’au final, le lien de confiance bâti incitera les personnes victimes à dénoncer et à poursuivre les démarches jusqu’au bout, lorsqu’elles seront prêtes. » – Me Lucas Bastien 

Dans bien des cas, le temps, la relation de confiance et les discussions avec le procureur, les intervenants du CAVAC ou d’autres organismes peuvent amener une victime ambivalente à participer au processus judiciaire. C’est pourquoi les procureurs demeurent en dialogue avec les victimes, tout en respectant leur rythme.

Un devoir moral collectif

Bien que le système de justice joue un rôle central, la lutte contre la violence conjugale ne repose pas que sur les épaules des personnes victimes ni sur celles des procureurs. Dans un contexte de violence conjugale, cela peut signifier de dénoncer ou de signaler une situation préoccupante aux autorités lorsqu’on en est témoin.

Si vous avez des questions sur le processus judiciaire des dossiers de violence conjugale, des procureures sont disponibles du lundi au vendredi de 8 h 30 à 16 h 30 pour vous répondre, et ce, en toute confidentialité.

Vous pouvez les rejoindre par la Ligne Info DPCP, au 1 877 547-3727.