Quatrième d'une série d'articles sur les étapes du processus judiciaire
Pour l’illustrer simplement, l’enquête préliminaire est en quelque sorte un «procès avant le procès», qui se tient selon certaines règles précises, dont un fardeau de preuve différent. Traçons les grandes lignes de cette étape judiciaire qui a connu d’importants changements au cours des dernières années.
Me Audrey Roy-Cloutier, porte-parole et procureure aux poursuites criminelles et pénales
D’entrée de jeu, il faut dire que ce ne sont pas toutes les infractions portées qui permettent la tenue d’une telle enquête. Avant l’entrée en vigueur des modifications législatives de 2019, la personne accusée ou la poursuite pouvait demander à la Cour de tenir une enquête préliminaire lorsque l’infraction portée l’était par voie d’acte criminel. Or, le projet de loi C-75 adopté par le gouvernement fédéral est venu modifier ce cadre légal.
Ainsi, depuis le 19 septembre 2019, l’enquête préliminaire est permise seulement lorsque le crime reproché est un acte criminel dont la peine maximale d’emprisonnement est de 14 ans ou plus. On peut penser à la pornographie juvénile, l’inceste, les voies de fait graves, la conduite dangereuse causant la mort, l’invasion de domicile, etc.
Contrairement au procès, le fardeau à rencontrer à cette étape n’est pas hors de tout doute raisonnable, mais bien une suffisance de preuve, ce qui est aussi appelé par les juristes une preuve « prima facie ».
Un premier test, pour la preuve
L’objectif principal de cette audience est de renseigner l’accusé et de lui fournir une occasion d’être libéré des accusations portées avant qu’un procès ne soit tenu si la preuve de la poursuite n’est pas jugée suffisante. Par exemple, si le témoin entendu lors de l’enquête préliminaire ne peut identifier positivement l’accusé comme étant l’auteur du crime reproché et que la poursuite n’a aucun autre élément pour le démontrer, la ou le juge pourrait dès lors conclure que la preuve n’est pas suffisante et libérer le prévenu de l’accusation à laquelle il fait face.
L’enquête préliminaire est parfois aussi l’occasion pour l’accusé d’entendre la version d’un témoin avant le procès. Ce témoignage pourra être transcrit et utilisé lors du procès si des contradictions sont soulevées entre les versions offertes, contradictions qui pourraient être présentées par la défense pour attaquer la crédibilité du témoin.
Lors de l’enquête préliminaire, le juge n’a pas à se prononcer sur la crédibilité des témoins entendus. Il doit considérer les éléments comme véridiques et déterminer s’ils sont suffisants pour soutenir les accusations déposées par la poursuite.
Une portée à géométrie variable
Souvent, la portée de l’enquête préliminaire est limitée à certains aspects bien précis et cela est convenu lorsque l’enquête est demandée. Par exemple, l’accusé peut ou non contester la suffisance de preuve. Cela est appelé la «citation à procès».
D’emblée, il peut donc reconnaître que le fardeau sera rencontré à cette étape, mais demander à ce que certains témoins soient appelés à témoigner pour éclaircir des points précis et préparer sa défense.
Plus rarement, c’est plutôt le ou la procureur(e) qui demandera la tenue d’une enquête préliminaire, bien que cela puisse paraître curieux à première vue. En effet, pourquoi la poursuite demanderait-elle au juge de déterminer si la preuve est suffisante, alors qu’elle a elle-même initialement porté les accusations?
À titre d’exemple, imaginons qu’une victime est atteinte d’une maladie incurable. La poursuite pourrait demander la tenue rapide d’une enquête préliminaire afin qu’elle soit interrogée et contre-interrogée sous serment devant la Cour. Advenant que la victime ne puisse rendre témoignage lors du procès, la poursuite pourrait alors demander à ce que celui offert lors de l’enquête préliminaire soit utilisé, conformément à l’article 715(1) du Code criminel.
Le déroulement de l’enquête préliminaire
Concrètement, l’enquête préliminaire débute par la preuve de la poursuite, peu importe qui en a requis la tenue. Les témoins assignés sont donc interrogés par la ou le procureur(e) et contre-interrogés par la défense. Même lorsque la citation à procès est contestée par l’accusé, la poursuite n’est pas obligée de faire entendre tous les témoins qui seraient assignés lors d’un procès, mais seulement ceux dont le témoignage est nécessaire pour rencontrer le fardeau imposé, soit la suffisance de preuve.
Une fois la preuve de la poursuite close, et à moins qu’il ne soit convaincu que la preuve présentée n’est pas suffisante - auquel cas il libérera immédiatement l’accusé des accusations qui pèsent contre lui - le juge passe ensuite au stade de l’examen volontaire.
C’est à ce moment qu’il peut entendre les témoins assignés par la défense, s’il y a lieu. Car l’accusé peut également choisir de ne pas présenter de preuve, à cette étape.
Lorsque la preuve est close d’un côté comme de l’autre, le juge rend sa décision. Conformément à l’article 548 du Code criminel, il peut citer le prévenu à procès sous l'accusation telle que portée ou sous tout autre acte criminel découlant de la même affaire, ou le libérer de l’accusation s'il considère la preuve insuffisante pour justifier la citation à procès.
Il est intéressant de savoir que l’accusé peut voir le nombre de chefs d’accusation portés à son égard augmenter suite à l’enquête préliminaire, si la preuve entendue soutient de nouvelles accusations.
En résumé, bien qu’ayant une portée plus limitée que d’autres étapes du processus judiciaire et qu’elle soit moins fréquente qu’elle ne l’était auparavant, l’enquête préliminaire demeure utile tant pour la poursuite que pour la défense dans le déroulement des procédures judiciaires intentées à l’égard d’un accusé. L’enquête préliminaire permettra parfois de conclure plus rapidement les procédures judiciaires, en libérant l’accusé suite à une décision ou en invitant les parties à discuter pour en venir à une entente.
Ceci étant dit, peu importe le cours que suivra le dossier, les impliqués seront assurément mieux outillés pour la suite du processus.
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