Comment forme-t-on un jury?

 


Le processus de sélection des jurés est presque le même depuis cinquante ans. Rien n’a changé, mis à part les récusations péremptoires. Il y a à peine dix ans, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales et les avocats de la défense pouvaient encore accepter ou refuser un juré!

Magalie Masson, Me Steve Baribeau, procureur aux poursuites criminelles et pénales, et Roxanne Beaumont, shérif de division de Québec
* Au moment de la publication de cet article, Steve Baribeau était procureur au DPCP. Il a été nommé juge à la Cour supérieure le 28 février 2025. Ses propos reflètent son expérience en tant que procureur avant sa nomination à la magistrature. 

Une récusation péremptoire, c’est un pouvoir qu’avaient jadis les avocats. Grâce à ce pouvoir, ils pouvaient  exclure un candidat juré, à leur choix, sans devoir se justifier. Chaque partie avait un nombre précis de récusations péremptoires pouvant être utilisées. 

« Les récusations péremptoires offraient une certaine marge de manœuvre, ce qui permettait aux deux parties de développer une stratégie concernant la composition du jury, en influençant la proportion d’hommes ou de femmes, par exemple », avoue Me Steve Baribeau, procureur aux poursuites criminelles et pénales. 

Une cause qui crée des remous 

La situation a toutefois changé en 2018, à la suite du procès de Gerald Stanley, un agriculteur de la Saskatchewan accusé du meurtre d’un jeune Cri. La défense avait rejeté cinq personnes autochtones dans la constitution du jury, et Gerald Stanley a été acquitté. 

Le gouvernement fédéral a alors décidé d’abolir la récusation péremptoire de jurés. Les modifications apportées par le projet de loi C-75 sont entrées en vigueur en 2019. 

Steve Baribeau, procureur aux poursuites criminelles et pénales 


Depuis, « les personnes convoquées se présentent à la cour, le juge leur demande si elles ont un motif d’exemption à présenter, si elles ne peuvent être jurées pour cause de maladie, par exemple. On connaît seulement le travail de la personne. Puis, les jurés sont assermentés. Ils s’engagent à rendre leur verdict en se fondant uniquement sur la preuve présentée en salle d’audience », explique Me Baribeau, qui fait des procès devant jury depuis plus de vingt ans. 

Si aucune demande d’exemption  n’est formulée par les candidats, ceux-ci prêtent serment comme juré dans l’ordre de leur sélection. 

Avec cette nouvelle façon de faire, la marge de manœuvre des procureurs et des avocats de la défense est plus limitée, mais le processus est beaucoup plus rapide. Cela diffère de la procédure utilisée aux États-Unis, où les parties peuvent poser des dizaines de questions aux jurés potentiels pour tenter de déceler des préjugés ou des partis pris. 


Les mêmes critères à respecter

Outre la modification législative de 2019, le processus de sélection des jurés n’a pas changé depuis 1976. 

La Loi sur les jurés stipule que, pour être juré, une personne doit être de citoyenneté canadienne, être majeure et être inscrite sur la liste des électeurs dans le district judiciaire où a lieu le procès. C’est à partir de cette liste que des jurés sont sélectionnés au hasard. 

Qui exécute ce travail de constitution du jury? Un shérif. 

Roxanne Beaumont est la shérif de la division de Québec. Elle a à sa charge tous les jurys formés pour des procès du Centre-du-Québec jusqu’en Abitibi. Son homologue de Montréal s’occupe du sud de la province. 

Chaque année, la shérif demande au directeur général des élections de lui fournir les listes électorales des districts à sa charge. Mme Beaumont procède ensuite à une pige aléatoire à l’aide de numéros. Elle se constitue ainsi une banque d’environ 5 000 citoyens par district.

« C’est impossible pour moi de dire au système que je veux telle personne. » - Roxanne Beaumont

Dès lors qu’un juge fixe la tenue d’un procès et qu’un jury est demandé, Mme Beaumont pige au moins 150 candidats dans la boîte correspondant au district judiciaire. Pour des procès dont les histoires ont été très médiatisées, le nombre peut être plus élevé. Me Baribeau estime que près de 400 candidats  avaient été convoqués lors du procès d’Ugo Fredette en 2019. Une lettre de convocation est envoyée par la poste à chacun des candidats. 

« À cette étape, près de 90 % des gens vont me réécrire. Souvent, ils ne veulent pas être jurés. On analyse alors leur motif de refus et leur retransmet une réponse par courrier. On exempte de 30 à 40 % des gens à ce moment », raconte Mme Beaumont. 

Roxanne Beaumont, shérif 


C’est ensuite que le travail de terrain de Mme Beaumont commence. Celle qui porte aussi le chapeau de shérif de district accueille les candidats jurés à la journée de sélection au palais de justice. Elle les accompagne lorsqu’ils se présentent devant le juge et les parties. Les candidats se font expliquer le dossier, poser quelques questions, puis assermenter juré, ou non. L’ordre de ces étapes peut varier en fonction des districts. 

Au bout du compte, 12 ou 14 personnes formeront le jury. Il n’est pas obligatoire que le jury soit paritaire. 

« C’est le juge qui détermine s’il souhaite 12 ou 14 jurés. On ne peut pas descendre en dessous de 10. Pour des procès plus longs, les juges vont généralement prendre 14 jurés, en cas d’imprévus comme un accident ou une maladie. S’ils sont finalement plus que 12 au moment de la délibération, on en retire de façon aléatoire », explique la shérif. Le verdict doit être rendu par un minimum de 10 et un maximum de 12 jurés, selon la loi. 

À partir du moment où un juré est assermenté, sa vie change le temps du procès. Il peut retourner à son domicile, mais il lui est demandé de ne pas écouter et lire les nouvelles, de ne pas faire de recherches, de ne pas parler du dossier avec ses proches, de se désinscrire des réseaux sociaux, etc. Pour sa participation au processus judiciaire et l’abandon de son emploi le temps des procédures, le juré reçoit une indemnité de 103 $ par jour. Le shérif doit s’assurer que les jurés se portent bien pendant toute la durée du procès. 

« On se fait un devoir d’aller voir le groupe tous les jours. On s’occupe des employeurs. On joue à l’intermédiaire, à la maman, au psychologue. S’il y a un pépin lié au transport, à la famille, aux finances, je m’en charge, surtout en période de délibération. On est là pour faciliter le déroulement du procès. Généralement, les gens ne veulent pas participer au début, mais à la fin du processus, ils apprécient l’expérience et comprennent toute l’importance de leur rôle », raconte Mme Beaumont. 

Mais à l’ère du numérique, où l’information nous parvient de façon continue, est-il plus difficile de trouver des jurés impartiaux? 

Selon Roxanne Beaumont et Me Baribeau, aujourd’hui, les juges ne s’attendent pas à ce que les jurés n’aient jamais entendu parler du dossier présenté. Ils souhaitent plutôt savoir si les jurés sont capables de faire abstraction de ce qu’ils ont vu et entendu, afin de construire leur opinion à partir de la preuve déposée. 

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