Enquête sur mise en liberté : incarcérer ou non l’accusé pendant les procédures judiciaires?


Troisième d'une série d'articles sur les étapes du processus judiciaire

Dans le milieu judiciaire, on entend souvent parler de détention préventive, d’enquête caution, d’enquête sur mise en liberté, de cautionnement autorisé ou refusé, de mise en liberté provisoire et de détention provisoire. Dans tous les cas, il est question de l’étape qui déterminera si une personne accusée restera ou non en détention jusqu’à la fin des procédures.

Me Annick Dumont, procureure aux poursuites criminelles et pénales

On dit aussi parfois que le dossier de l’accusé est remis à une date ultérieure afin d’évaluer s’il va demeurer derrière les barreaux ou s’il peut retrouver sa liberté dans l’attente de son procès, sous certaines conditions à respecter. Ou encore, que l’accusé s’est vu refuser sa demande de remise en liberté. Malgré l’ensemble des termes utilisés, ils réfèrent tous à la même étape judiciaire : la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. 

Cette étape du processus judiciaire vise donc essentiellement à répondre à la question suivante :

l’accusé doit-il recouvrer sa liberté ou doit-il demeurer détenu durant l’ensemble des procédures judiciaires à venir? 

Lorsqu’un(e) policier(ère) ou un(e) agent(e) de la paix arrête une personne suspecte en lien avec la commission présumée d’un crime ou en vertu d’un mandat d’arrestation, il doit déterminer si cette dernière peut être remise en liberté. Il doit ainsi évaluer s’il existe des motifs raisonnables de détenir le suspect selon l’intérêt public. Si ce n’est pas le cas, le suspect sera libéré. 

Lorsque la détention s’avère nécessaire, le suspect doit ensuite comparaître devant un(e) juge dans les 24 heures suivant son arrestation. La preuve recueillie à l’égard de ce suspect sera soumise à un(e) procureur(e) afin qu’il détermine si des accusations seront déposées et s’il s’oppose ou non à sa mise en liberté (voir article 515(10) du C. cr.) jusqu’à la fin des procédures. 

Bref, ce n’est pas l’ensemble des personnes accusées qui vont se retrouver devant la cour criminelle afin que cette question soit tranchée. Certaines personnes accusées resteront en liberté durant l’ensemble du processus judiciaire et ne seront jamais amenées en détention lorsqu’elles en sont, par exemple, à une première offense d’une gravité se situant au bas de l’échelle. 


Le rôle de chacun 

Certains pensent, à tort, que la décision quant à la détention ou la mise en liberté d’un accusé est uniquement prise par le procureur responsable du dossier, et ce, sans critère spécifique. C’est loin d’être le cas. 

Le Code criminel prévoit des règles, principes et critères qui s’appliquent lors de cette étape judiciaire. Les articles 515 à 525 répertorient l’ensemble des notions reliées à la mise en liberté provisoire. 

Lors de cette étape judiciaire, l’accusé n’a pas à se défendre de l’infraction qu’on lui reproche et il bénéficie toujours de la présomption d’innocence. Le juge n’a pas non plus à déterminer la culpabilité d’un accusé face aux infractions reprochées.

Après avoir porté des accusations, le procureur a la responsabilité de prendre position sur la mise en liberté provisoire d’une personne accusée

Son analyse se base sur les critères prévus au Code criminel.

L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est aussi guidé par les principes énoncés dans la directive MEL-1, portant sur la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, ainsi que par les directives propre à certains types de criminalité, comme la violence sexuelle, la violence conjugale ou une infraction criminelle commise à l’égard d’une personne de moins de 18 ans. 

Au final, c’est le juge qui décide de la détention ou de la mise en liberté d’un accusé. Il devra justifier les motifs qui soutiennent sa décision, et ce, peu importe la décision qu’il prendra. Cette décision est habituellement prise au début du processus judiciaire, mais elle peut également être révisée ultérieurement si d’autres circonstances ou changements surviennent. 

Si l’une des parties croit qu’une erreur a été commise lors de cette décision initiale, elle peut ensuite s’adresser à un tribunal d’appel afin qu’il révise celle-ci. Le pouvoir de révision du deuxième juge est cependant limité et il ne pourra intervenir que dans des cas précis (voir articles 520 et 521 du C.cr.). Son rôle n’est pas de refaire le débat initial ou de donner une «deuxième chance» à l’une des parties.


Principes qui régissent la mise en liberté provisoire

Selon le Code criminel, l’incarcération doit être une mesure d’exception. La règle, à cette étape, est plutôt la mise en liberté sans condition, sauf si la ou le procureur(e) fait valoir des motifs justifiant la détention ou l’imposition de conditions nécessaires. 

En pareilles circonstances, le fardeau de la preuve de démontrer que l’accusé doit avoir des conditions qui restreignent sa liberté ou qu’il doit demeurer en détention jusqu’à son procès repose donc sur la ou le poursuivant(e). En d’autres mots, c’est le procureur qui doit démontrer, selon la preuve disponible, que l’accusé ne doit pas retourner dans la société. Et si le poursuivant démontre que des conditions sont nécessaires pour assurer un retour de l’accusé en société sans embûche, le juge doit toujours lui imposer les conditions les moins sévères possible ou restrictives de liberté.

Quelques cas d’exception existent néanmoins quant au principe précédemment expliqué. Ainsi, le Code criminel prévoit que la détention d’un accusé sera de prime abord nécessaire dans certaines situations :

  • dans les cas d’infractions perpétrées avec usage, tentative ou menace de violence contre un partenaire intime (violence conjugale) si l’accusé a été auparavant condamné pour une infraction similaire;
  • lorsqu’une arme à feu a été utilisée pour commettre certains types de crime;
  • lorsqu’on reproche à un accusé une infraction de trafic, d’importation, d’exportation ou de production de certaines substances comme des drogues;
  • lorsqu’un accusé est déjà sous le coup d’une ordonnance de mise en liberté et qu’il ne respecte pas les conditions initialement imposées.

Dans ces cas, c’est à l’accusé qu’il revient de démontrer qu’il peut retourner en société. Le fardeau de preuve repose alors sur lui et non sur le poursuivant. 

Et peu importe sur qui repose le fardeau de démontrer que l’accusé devrait être détenu ou libéré, il devra toujours démontrer ses prétentions selon la prépondérance des probabilités. C’est un critère beaucoup moins exigeant que lorsque la poursuite tente de démontrer la culpabilité d’un accusé (hors de tout doute raisonnable). 


Attention particulière à la situation de certains contrevenants

Publiée le 22 juin 2022, la directive MEL-1 rappelle l’importance d’accorder une attention particulière aux dossiers de mise en liberté provisoire impliquant certaines catégories de contrevenants :
  • autochtones;
  • en situation d’itinérance;
  • appartenant à une population vulnérable, qui est surreprésentée au sein du système de justice ou qui souffre d’un désavantage quand il s’agit d’obtenir une mise en liberté.

Ces 2 dernières caractéristiques peuvent dépendre, entre autres :
  • de l'origine ethnique d'une personne;
  • de son statut économique;
  • de ses antécédents de toxicomanie;
  • de son âge;
  • de ses problèmes de santé physique ou mentale.

Dans le cas d’un contrevenant autochtone, le procureur tient notamment compte :
  • du rôle et de l’implication de ce contrevenant auprès de sa communauté;
  • des conséquences que la détention provisoire aurait sur sa communauté;
  • des pratiques ancestrales des habitants de sa région;
  • des réalités propres à sa situation géographique et aux problématiques sociales présentes au sein de sa communauté.

Par ailleurs, le procureur doit s’assurer que « les conditions de mise en liberté qu’il propose, le cas échéant, peuvent être raisonnablement respectées par le contrevenant, malgré le fait qu’il soit en situation d’itinérance » (MEL-1, paragraphe 16).

Jurisprudence

La Cour Suprême – plus haut tribunal au pays – a rappelé en 2017, dans la décision R. c. Antic, que personne ne peut être privé de sa liberté sans juste cause. Elle a également mentionné que la mise en liberté avec des conditions raisonnables est un élément essentiel d’un système de justice pénale éclairé. Ces principes consacrent ainsi, lors de cette étape préalable au procès criminel, le plein effet de la présomption d’innocence et la protection du droit d’être en liberté.  

Plus récemment, en juin 2020, le même tribunal a indiqué dans la décision R. c. Zora que le principe de retenue doit guider tous les intervenants judiciaires impliqués à cette étape. La mise en liberté à la première occasion raisonnable est donc maintenant la règle et elle doit être assortie des conditions les moins sévères possible. Ce principe de retenue s’applique également dans les situations de renversement de fardeau de preuve, soit lorsqu’il revient à l’accusé de démontrer qu’il devrait retrouver sa liberté.


Déroulement de cette audition 

L’enquête sur mise en liberté est, à plusieurs égards, différente du procès. Par exemple, le poursuivant peut présenter des éléments de preuve sans faire témoigner les témoins qui ont constaté les faits. En langage juridique, cela signifie que la preuve par ouï-dire est admissible. 

Lors de cette étape, le procureur fait habituellement la lecture au juge des différents éléments de preuve dans son dossier. Par exemple, la déclaration d’un témoin ou le rapport du policier qui constate certaines choses. De cette façon, il lui résume les crimes auxquels fait face l’accusé et porte à son attention les éléments qu’il juge pertinents.

Il arrive aussi que des témoins soient entendus à cette étape, dont l’accusé qui souhaite démontrer qu’il a l’intention de respecter les conditions éventuellement imposées par le juge. L’accusé n’est toutefois pas obligé de se faire entendre lors de cette étape et, même lorsqu’il décide de le faire, il n’a pas à parler des faits qui lui sont reprochés. 

En général, l’enquête sur mise en liberté est beaucoup plus brève et expéditive que le procès à venir. Le juge qui préside cette audition évalue la preuve présentée, écoute les arguments de la poursuite et de la défense et décide à la fin de l’audience si l’accusé doit demeurer en détention ou s’il doit retrouver sa liberté. Sa décision doit d’ailleurs être prononcée dans les meilleurs délais possibles.

Le juge se pose notamment les questions suivantes pour prendre sa décision :

  • La détention est-elle nécessaire afin d’assurer la présence de l’accusé au tribunal pour qu’il soit traité selon la loi?
  • La détention est-elle nécessaire afin de protéger ou assurer la sécurité du public, dont celle des victimes, des témoins, des personnes âgées de moins de 18 ans, etc.?
  • La détention est-elle nécessaire pour éviter que l’accusé ne commette à nouveau une infraction ou ne nuise à l’administration de la justice (par exemple en allant demander à la victime de retirer sa plainte)?
  • La détention de l’accusé est-elle nécessaire afin de ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice lorsque l’accusation paraît fondée et/ou qu’elle revêt une certaine gravité et/ou que les circonstances entourant l’infraction comprennent l’usage d’une arme à feu?
  • La détention est-elle nécessaire étant donné la gravité du crime, que l’accusé encourt une longue peine ou qu’une peine minimale s’impose?

Lorsqu’un juge arrive à la conclusion que la détention de l’accusé n’est pas nécessaire, certaines conditions peuvent lui être imposées telles que:

  • ne pas communiquer avec la victime et/ou un témoin;
  • ne pas conduire un véhicule à moteur;
  • ne pas avoir d’armes à feu en sa possession;
  • ne pas se retrouver à un endroit précis;
  • ne pas se retrouver dans un parc ou en présence de mineurs de moins de 16 ans.


En résumé, plusieurs critères, principes et règles de droit gouvernent l’analyse nécessaire pour déterminer si un accusé doit être remis en liberté ou détenu jusqu’à la fin des procédures. Compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances qui varient d’un dossier à l’autre, il n’y a pas une formule unique applicable à tous les cas. Plusieurs éléments doivent être considérés et l’analyse requiert un travail minutieux de tous les acteurs judiciaires impliqués afin que la société soit protégée et que les droits de la personne accusée soient respectés. 

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