La détermination de la peine, un exercice loin d’être mathématique!

 


Si une personne est déclarée coupable d’un crime, le tribunal doit lui imposer une peine. Parfois critiquée pour sa clémence par certains citoyens ou pour sa sévérité par d’autres, la peine est régie par plusieurs principes et règles devant guider la ou le juge dans cette étape finale du processus judiciaire.

Me Audrey Roy-Cloutier, procureure en chef adjointe par intérim et porte-parole, et Me Patricia Johnson, procureure aux poursuites criminelles et pénales et porte-parole adjointe 

Plusieurs juges écrivent dans leurs décisions que la détermination d’une peine à imposer à une personne accusée est un exercice difficile. Cela s’explique par le fait que de nombreux principes et facteurs doivent être considérés, mesurés et pondérés pour en arriver à une peine juste et individualisée (propre à chaque personne). 


Que se passe-t-il avant le prononcé de la peine?

Pour qu’une peine soit imposée par le tribunal, l’accusé doit avoir plaidé coupable ou avoir été reconnu coupable par le juge à l’issue d’un procès. Conformément au Code criminel, la peine doit être prononcée dans les meilleurs délais suivant ce verdict de culpabilité.

Pour obtenir plus de renseignements lui permettant de déterminer la peine appropriée, le tribunal peut ordonner la confection d’un rapport présentenciel de son propre chef ou à la suggestion de l’une des parties.

Ce rapport est préparé par une agente ou par un agent de probation. Il contient entre autres un regard objectif sur la situation personnelle de la personne accusée.

Le rapport est transmis à la poursuite, à la défense et au juge avant l’audience. Lors de leurs plaidoiries respectives, les avocats peuvent s’y référer pour appuyer leurs arguments. Le juge peut aussi s’appuyer sur ce rapport pour étayer les motifs au soutien de sa décision.

Le rapport présentenciel contient des informations sur l’accusé comme:

  • son emploi;
  • sa situation financière;
  • son état mental et physique;
  • sa situation conjugale et familiale;
  • ses habitudes de vie;
  • son potentiel de réinsertion sociale;
  • ses antécédents judiciaires;
  • sa reconnaissance du tort causé et son désir de le réparer;
  • le risque qu’il représente pour la société, etc.   

Dans le cas d’une délinquante ou d’un délinquant autochtone, la confection d’un rapport Gladue peut également être demandée. Ce rapport présente au tribunal l’histoire personnelle de l’accusé et celle de sa communauté.

Avant que le juge rende sa décision sur la peine qu’il considère indiquée, la poursuite et la défense peuvent présenter des éléments de preuve jugés pertinents et faire leurs recommandations au tribunal.

Le Code criminel prévoit aussi que la victime peut s’adresser au tribunal pour lui faire part des conséquences vécues à la suite du crime. Cela peut prendre différentes formes.

Elle peut notamment rédiger une déclaration, en vertu de l’article 722 du Code criminel, décrivant les conséquences d’ordre physique et psychologique, en plus des dommages ou pertes économiques subis. Cette déclaration est déposée au tribunal.

Parfois, les parties s’entendent sur la peine à imposer à l’accusé. C’est ce qui est communément appelé « une suggestion commune ». À ce moment, les parties présentent cette proposition à la Cour.

Le juge n’est pas lié par cette suggestion des parties. Cependant, la Cour suprême du Canada a rappelé au cours des dernières années que le juge peut s’écarter de cette suggestion commune seulement si elle est contraire à l’intérêt public.


Quels sont les principaux éléments devant être considérés par le juge?

Bien que de grands principes et objectifs régissent l’imposition de la peine, le juge bénéficie d’une grande latitude à cette étape. Cela s’explique par le fait qu’il doit l’adapter aux circonstances de l’infraction et à la situation de chaque personne accusée se trouvant devant lui.

Ce large pouvoir discrétionnaire a notamment été reconnu par la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Lacasse. Ce pouvoir permet aux juges d’imposer des peines justes et équitables, c’est-à-dire de mettre en balance tous les facteurs pertinents et ainsi respecter les objectifs visés par l’imposition d’une peine.

Les articles 718 à 718.201 du Code criminel énoncent les principes et les objectifs que le tribunal doit considérer au moment d'imposer une peine.


Objectifs de la peine

L’objectif essentiel d’une peine est de protéger la société et de contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre. De plus, l'imposition de sanctions justes vise un ou plusieurs des objectifs suivants :     

  • Dénoncer le comportement illégal et le tort causé aux victimes ou à la collectivité.
  • Dissuader le délinquant de commettre à nouveau des infractions.
  • Dissuader toute personne de commettre des infractions.
  • Isoler au besoin les délinquants du reste de la société.
  • Favoriser la réinsertion sociale des délinquants.
  • Assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité.
  • Susciter la conscience des responsabilités des délinquants. 

La Cour suprême dans R. c. Nasogaluak mentionne qu’indépendamment du poids que le juge souhaite accorder à l’un des objectifs de détermination de la peine, celle-ci doit respecter le principe fondamental de la proportionnalité.


Proportionnalité

Selon ce principe, la peine doit être proportionnelle à la gravité du crime commis et au degré de responsabilité du délinquant. Pour ce faire, le juge examine notamment la gravité objective et subjective du crime commis.

La gravité objective est déterminée par la peine maximale prévue au Code criminel.

Une personne condamnée pour une fraude de plus de 5000 $ est passible d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement alors que pour un vol de moins de 5000 $ poursuivi par voie sommaire de culpabilité, la peine maximale est de 2 ans moins 1 jour. Le libellé même de l’infraction nous permet de savoir qu’un crime est objectivement moins grave qu’un autre.

La gravité subjective est établie notamment en fonction des facteurs atténuants et aggravants propres à chaque affaire.

Le mode de participation à l’infraction est également pris en considération au stade de la détermination de la peine. La peine doit refléter le niveau de participation. Si, par exemple, l’accusé a participé d’une manière active au crime ou s’il a participé en aidant l’auteur réel du crime, ce niveau n’est pas le même.


Individualisation

La peine doit être individualisée. À cet égard, certains juges mentionnent parfois que la peine doit faire à un accusé comme un habit taillé sur mesure.

Un accusé qui en est à son premier délit ne purgera probablement pas la même peine qu’un autre ayant des condamnations antérieures en cette matière.

Les caractéristiques individuelles d’un accusé doivent donc être prises en compte dans la décision du tribunal. La peine est ainsi appelée à varier selon le profil de l’accusé.


Harmonisation

Dans son analyse, le juge doit harmoniser la peine qu’il s’apprête à imposer à celles habituellement rendues en semblables circonstances. C’est le principe de l’harmonisation des peines.

Le but est d’éviter une trop grande divergence entre les peines imposées pour un crime donné. Le tribunal tente donc d’imposer des peines similaires, pour des infractions similaires, commises à la même époque par des délinquants avec des profils similaires.

L’expression « fourchettes de peines » est souvent utilisée pour qualifier les balises qui reflètent la gamme de peines rendues par les tribunaux pour un crime en particulier. Tel que mentionné par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Lacasse, il ne s’agit pas d’un carcan rigide duquel on ne peut sortir, mais bien de lignes directrices pouvant guider le juge qui doit imposer une peine à un délinquant. Surviendront des situations particulières méritant qu’une peine se situe à l’extérieur de la fourchette applicable dans les circonstances.

Dans cette même décision, la Cour suprême indique que «les fourchettes de peines demeurent d'abord et avant tout des lignes directrices et elles ne constituent pas des règles absolues». Il s’agit d’un outil permettant de guider les juges dans leur pouvoir discrétionnaire.


Modération

Le tribunal doit prendre en compte le principe de modération lors de l’imposition d’une peine en se devant d’envisager la peine qui soit la moins privative de liberté possible.

Cela ne signifie pas que la détention doit toujours être écartée. L’emprisonnement est justifié lorsque l’accusé a atteint les valeurs fondamentales de notre société ou que ce dernier représente un risque pour la vie et la sécurité d’autrui, par exemple dans les cas de violence sexuelle à l’égard de victimes mineures.

Il existe également des crimes pour lesquels la seule sanction possible est l’emprisonnement, par l’effet de la loi. À titre d’exemple, une personne condamnée pour un meurtre prémédité se verra imposer une peine d’emprisonnement à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.


Totalité

Le tribunal doit garder à l’esprit le principe de la totalité des peines lors de l’imposition de peines consécutives. Ce principe de détermination de la peine a pour but d’éviter un excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives. L’objectif visé est que la peine totale infligée ne soit pas démesurée.

Par exemple, un individu est reconnu coupable de 10 chefs de vols de plus de 5000 $ dans un dossier. La peine imposée par le juge n’équivaudra pas à 10 fois la peine imposée pour un chef de vol de plus de 5000 $.

Le juge rendra une peine globale qui ne sera pas exagérée dans les circonstances. Il ne fera pas simplement multiplier la peine qui serait imposée pour un chef afin de déterminer la peine appropriée. 


Gradation

Si un accusé possède des antécédents judiciaires, le tribunal doit les considérer afin de déterminer l’impact sur la peine qu’il a à rendre. Généralement, le principe de gradation des sanctions veut qu’une peine plus sévère soit imposée à une personne qui a été déclarée coupable d’une affaire similaire par le passé.


Circonstances aggravantes et atténuantes  

En ayant ces principes à l’esprit, le juge doit aussi tenir compte de facteurs aggravants prévus au Code criminel. Le juge doit accorder une importance particulière à la dénonciation et à la dissuasion en ces cas.

Sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes les éléments de preuve qui établissent que l’infraction:    

  • est motivée par des préjugés ou par de la haine, fondés, par exemple, sur l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la langue, la religion, le sexe, l’âge, la déficience intellectuelle ou physique, l’orientation sexuelle, ou encore l’identité ou l’expression de genre;
  • constitue un mauvais traitement de la ou du partenaire intime de l’accusé, d’un membre de la famille du délinquant ou de la personne victime;
  • constitue un mauvais traitement d’une personne âgée de moins de 18 ans;
  • constitue un abus de confiance à l’égard de la personne victime ou un abus d’autorité;
  • a eu un effet important sur la personne victime en raison de son âge et de tout autre élément de sa situation personnelle;
  • a été commise à l’encontre d’une personne qui, dans l’exercice de ses attributions, fournissait des services de santé;
  • a été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle;
  • perpétrée par le délinquant est une infraction de terrorisme;
  • a été perpétrée alors que le délinquant faisait l’objet d’une ordonnance de sursis ou qu’il bénéficiait d’une libération conditionnelle, d’office ou d’une permission de sortie;
  • a eu pour effet de nuire à l’obtention par autrui de services de santé.

Le juge doit également prendre en considération les facteurs atténuants propres à chaque accusé. Il peut s’agir :

  • du respect par le délinquant de conditions de mise en liberté strictes;
  • du dédommagement financier de la personne victime;
  • du support familial dont bénéficie le délinquant;
  • du fait que le délinquant occupe un emploi stable, qu’il est un actif pour la société;
  • de limitations intellectuelles chez le délinquant;
  • d’une réhabilitation exemplaire chez le délinquant;
  • de l’absence d’antécédents judiciaires;
  • d’un plaidoyer de culpabilité rapide qui permet à la personne victime d’éviter un procès;
  • d’un délinquant qui a des remords et des regrets sincères;
  • du fait que le délinquant a coopéré avec les autorités; toutefois on ne peut lui reprocher son manque de coopération.

Ainsi, pour déterminer la peine indiquée, le juge doit analyser et soupeser ces facteurs aggravants et atténuants en déterminant le poids à accorder à chacun.

C’est de cette façon que le tribunal déterminera la peine qu’il considère juste, raisonnable et individualisée à l’égard de l’accusé coupable d’une infraction donnée.

Indépendamment du poids accordé à l’un ou l’autre des objectifs, la peine doit nécessairement être proportionnelle et adaptée à l’accusé.

Compte tenu de ce qui précède, nous pouvons affirmer sans nous tromper que cet exercice complexe qu’est l’imposition d’une peine est bien loin d’une formule mathématique!


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